Pei, en toute pérennité

Le 30 Juillet 2019

“Ce qui m’intéresse le plus en architecture, c’est ce qui résiste à l’épreuve du temps”, disait le petit homme aux lunettes rondes cerclées d’écaille de tortue. À 102 ans, Ieoh Ming Pei s’est éteint à New York le 16 mai dernier. Il était l’un des premiers Pritzker américains, distinction qu’il reçut en 1983, après Philip Johnson et Kevin Roche. Né en Chine à Canton en 1917, il émigre aux États-Unis à l’âge de 17 ans. Formé notamment au MIT à Boston par Walter Gropius, il se lie d’amitié avec Marcel Breuer, autre figure du Bauhaus. Attiré par l’ingénierie, Pei se révélera un “architecte-constructeur”.
Il fait ses premières armes auprès du promoteur William Zeckendorf avant de créer son agence à l’âge de 38 ans, en 1955. Son architecture géométrique et sculpturale va prendre une dimension particulière avec une série de bâtiments publics, dont la bibliothèque John F. Kennedy à Boston (1964-1979). Un an après l’assassinat du président américain, Pei est choisi pour réaliser cette commande iconique (mi-mémorial, mi-musée et centre de recherche) ; il est alors préféré à Louis Kahn, Mies van der Rohe, Paul Rudolph et Gordon Bunshaft. Son premier projet est une pyramide tronquée. Puis, à la faveur d’un changement de site, du bord de la rivière à Cambridge au bord de mer à la pointe du port de Boston, le projet va prendre une allure plus sculpturale encore : un haut bloc de verre noir imbriqué dans des volumes blancs. Un grand drapeau américain pend depuis au cœur de cet atrium monumental de 33 mètres de haut. L’hôtel de ville de Dallas (1966-1977), reconnaissable à sa façade monumentale inclinée, sorte de pyramide inversée dans une spectaculaire relation à l’espace public, révèle l’intérêt profond qu’il avait pour Le Corbusier. Mais c’est sans nul doute l’extension de la National Gallery of Art à Washington DC, avec ses blocs de marbre et ses morceaux de pyramide émergents (1968-1978), qui lui vaudra la commande directe décidée par le président François Mitterrand : le Grand Louvre. Influencé par la géométrie de l’œuvre de Le Nôtre, Pei conçoit alors la Pyramide, une œuvre dont on vient de fêter le 30e anniversaire (1983-1989) et qui a su faire le consensus total après une violente polémique.
Il retourne dans son pays d’origine 49 ans après son départ, en 1983, pour construire un hôtel dans le parc des Collines parfumées, près de Pékin. Il réalise plus tard, en 2006, le musée d’Art à Suzhou, berceau de sa famille. Mais il s’agit d’un tout autre enjeu pour lui (dont le père était banquier) quand il s’attelle à ériger la tour de la Banque de Chine à Hong Kong en 1989. Un building de 367 mètres qui a trouvé sa place dans le skyline hyperdense de l’île, avec son concept inspiré de la croissance du bambou, dans un face-à-face avec la célèbre tour de la Hong Kong and Shanghai Banking Corporation (HSBC) construite par Norman Foster quatre ans plus tôt.