Archiscopie 16 - octobre 2018

Éditorial

L’architecture au cœur des flux - De la trottinette électrique, qui a envahi l’espace urbain, au smartphone, qui règne en maître dans l’espace privé comme dans l’espace public, en passant par le drone, qui assure des livraisons issues de l’e-commerce, la modernité est en mouvement perpétuel. Si la mobilité ne saurait se résumer à un mode de déplacement ou à un plan de transports, elle ne peut s’imaginer sans s’interroger sur la question des flux.

L’intermodalité, l’interconnexion, l’interface trouvent ainsi leur traduction dans l’architecture au sens large. C’est bien dans la spatialité de la ville contemporaine, de plus en plus complexe dans le croisement de ses réseaux, que se situe le débat sur la continuité de l’espace public, en sous-sol ou à l’air libre. Un régal pour le mélange des fonctions. Le regretté François Ascher qui, en son temps, a établi clairement le lien entre hypermodernité et hypertexte, avait engagé l’Institut pour la ville en mouvement, dès sa création, sur cet axe de recherche. La pacification des modes de déplacement (qui reste d’actualité) était alors bien initiée en France avec le cours des 50 Otages à Nantes, repensé en 1993 par Bruno Fortier et Italo Rota.
À l’étranger, parmi les villes qui se sont révélées pionnières en matière de mobilité, Curitiba au Brésil tient une bonne place. C’est à l’initiative du maire-architecte Jaime Lerner que le concept du Bus Rapid Transit (BRT) a fait surface dans les années 1980, avant de faire tache d’huile dans d’autres villes d’Amérique latine, dont Mexico sur l’axe majeur de la Avenida Insurgentes. Et tandis qu’en Colombie Medellín croise allégrement les réseaux, dont celui du Metrocable, Copenhague s’est affirmée comme l’une des capitales européennes de la “mobilité douce”, avec notamment son Bicycle Snake survolant le port en pleine reconquête d’espace public.
Parallèlement, on peut s’interroger sur la décision que Barcelone a mise à exécution de démolir son grand giratoire suspendu de la place des Glòries Catalanes, le point stratégique que Cerdà avait défini comme le nouveau centre de la Cité comtale. Exit l’infrastructure, place au parc… On peut voir dans cet acte de verdissement accéléré, comme Alain Sarfati l’analyserait, une “dimension compensatoire” de la vitesse.
En France, on attend maintenant la réalisation du futur pont Simone-Veil à Bordeaux, conçu par l’OMA, non comme un ouvrage technique mais comme un lieu vivant en phase avec les temporalités de la capitale girondine. Infrastructure et architecture sont intimement liées dans cet univers régi par l’usage et les nouvelles pratiques de la ville. Zaha Hadid à Strasbourg et Marc Barani à Nice hier, UNStudio aujourd’hui à Arnhem, Dominique Perrault demain à Séoul… Maîtriser les flux, conjuguer les vitesses, c’est le sujet.

Francis Rambert

 

SOMMAIRE


LE THÈME

Vers un changement de paradigme
par Jean-François Pousse
Peu soucieuse de l’empreinte carbone qu’elle laisse à l’échelle de la planète, la mobilité est en totale accélération. Mais le mouvement va si vite qu’il faut prendre le temps de repenser les mobilités. À l’heure où le gouvernement lance son plan Vélo et où le Grand Paris construit son réseau express, c’est toute la relation espace-temps qu’il faut revoir. Et si la mobilité était considérée comme un droit autant qu’un service pour produire plus d’urbanité ?

Île-de-France, le grand pari de la mobilité
par Ève Jouannais
Plus gros chantier d’Europe, le nouveau réseau du Grand Paris Express va participer d’ici 2030 à la recherche de nouveaux équilibres entre la capitale, extrêmement bien desservie par les transports, et les territoires périphériques, qui le sont largement moins. Un nouveau maillage se dessine dans lequel des “hubs de mobilité durable” pourraient bien avoir leur place. Sans parler de l’application de la théorie du “dernier kilomètre”, bénéfique pour la santé.

La nature, dimension compensatoire des vitesses dans les villes
par Alain Sarfati
C’est une réflexion menée à la fin des années 1980 sur le passage de la RN7 en périphérie parisienne qui amène l’architecte-urbaniste Alain Sarfati à s’intéresser à la vitesse et à commencer à théoriser sur la question. Son projet finaliste du concours international pour le centrede la ville nouvelle de Melun-Sénart contient déjà les ingrédients d’une articulation entre l’axe de la vitesse, l’axe de la lenteur et, comme point central, le lieu d’un festival des jardins. Inspiré par John Naisbitt, l’auteur de Megatrends (Les Dix Commandements de l’avenir), il développe ici un point de vue sur la notion de compensation appliquée à la ville. Au croisement, la nature s’invite davantage dans le débat.

Andreu, le seigneur de l’anneau
par Francis Rambert
Disparu le 11 octobre dernier à l’âge de 80 ans, Paul Andreu restera l’architecte de “Roissy 1”, un bâtiment circulaire acte fondateur d’une plateforme aéroportuaire à laquelle il consacrera une grande partie de sa vie. Avant de construire d’autres lieux dédiés à la mobilité, au sport ou à la culture, sous d’autres horizons.

Au sol ou dans l’air du paysage andin
par Pablo Andrés Gómez Granda
Depuis la fin du XXe siècle, la Colombie s’est illustrée dans le domaine de l’infrastructure urbaine. Deux modes de transport, le bus rapide en site propre (BRT) à Bogotá et le Metrocable à Medellín, offrent des solutions diversifiées à la question de la mobilité liée au développement urbain.

Attention, une gare peut en cacher une autre
par Manuel Tardits
Qu’elle soit maritime ou ferroviaire, la gare peut être issue d’un concept. De Yokohama avec Foa à Kyôto avec Hiroshi Hara, le Japon dispose de modèles qui revisitent autant la question de l’espace public que la mixité des fonctions. Parallèlement, les gares de la mégalopole tokyoïte, qui s’adaptent au rhizome urbain, proposent des sortes d’anti-modèles.

Mobilité versus agilité
par Vincent Borie
Dans l’expérience citadine au quotidien, la mobilité tient un rôle de premier plan. Outre les spécialistes du domaine, nombre de sociologues, de consultants et de publicitaires réfléchissent à de nouveaux concepts croisant usages et pratiques. La smart city s’invite alors dans le débat : être mobile dans une ville connectée.

La ville volante, un rêve constructiviste
par Fabien Bellat
Dans une vision très prospective, Georgi Krutikov mise sur les progrès de la recherche atomique pour imaginer une ville volante. Son projet de diplôme, à l’ère constructiviste, appartient à l’histoire des utopies. Malgré tout, ce travail servira de base pour la conception des fusées soviétiques au moment de la conquête spatiale.
 

L'ENTRETIEN

PAUL VIRILIO
“Quand Paul Virilio tourne autour du vide”
Propos recueillis par Francis Rambert
Il s’amusait à dire qu’il était arrivé à l’architecture “par la mer”, clin d’œil à Bunker archéologie, livre culte qu’il avait écrit en 1975. En fait, dès 1963, il fonde avec Claude Parent le groupe Architecture principe, ainsi expérimentent-ils ensemble la Fonction oblique. Autant urbaniste qu’essayiste, Paul Virilio nous a quittés le 10 septembre, à l’âge de 86 ans. Le maître verrier devenu philosophe a nourri la réflexion de plusieurs générations d’architectes, à commencer par les étudiants de l’École spéciale d’architecture à Paris, qu’il a dirigée un temps. Son regard critique, très aiguisé notamment sur l’esthétique de la disparition, sur la vitesse ou sur l’accident, a produit livres et expositions, certaines à dimension manifeste comme “Ce qui arrive”, présentée à la Fondation Cartier en 2002. Lanceur d’alertes avant l’heure, il avait soutenu la cause des sans-abri. En 1993, il proposait ainsi des balises de survie. Nous publions ici un entretien enregistré le 21 avril 2011 à La Rochelle, où il s’était retiré. Il était alors invité à réagir sur le thème du vide que Dominique Perrault avait choisi comme sujet de “Metropolis ?”, le pavillon français de la Biennale d’architecture de Venise en 2010, dont il était commissaire.

 

L'ESPACE CRITIQUE


Tendance
En quête de matérialité

par Richard Scoffier
Monolithes de pierre tout droit sortis de leur carrière et simplement posés les uns sur les autres, billots de bois à peine équarris et mis en œuvre comme les blocs de neige d’un igloo, terre en attente d’une improbable transsubstantiation : les architectes se lancent de plus en plus nombreux dans une quête échevelée de la matérialité. Visite guidée d’un monde déboussolé…

Álvaro Siza dans le cercle de l’église
par Dominique Machabert
Se confronter au sacré, l’architecte portugais en avait déjà fait l’expérience à plusieurs reprises, notamment à Marco de Canaveses, au Portugal, dans les années 1990. Dans la périphérie de Rennes, à Saint-Jacques-de-la Lande, l’église Anastasis arbore ses habits de béton blanc. À l’intérieur, le plan circulaire révèle bien autre chose.

L’acropole ouverte de la ville-port
par Jean-François Pousse
Promontoire, bastion de la Marine, le plateau des Capucins, seize hectares au cœur de Brest, vit une nouvelle mutation. Couvent au XVIIIe siècle, caserne puis atelier au XIXe, le site s’ouvre à la ville selon un scénario de Bruno Fortier. Ainsi les halles ont-elles été transformées par Canal en médiathèque.

Le contrepoint contemporain des Arènes
par François Lamarre
Trente ans après le Carré d’art, la ville de Nîmes relance la confrontation entre modernité et romanité. Lauréate du concours en 2011, Elizabeth de Portzamparc annonçait une façade telle une “toge plissée”. In fine le drapé est en verre sérigraphié. C’est dans l’opposition de matières et de géométries que le dialogue s’entame à travers trois micocouliers.

Un Moyen Âge très au-dessus de la moyenne
par Philippe Trétiack
En plein cœur de Paris, le musée de Cluny vient de se doter d’une nouvelle entrée, subtilement conçue par Bernard Desmoulin en fonte d’aluminium. Cette greffe contemporaine marque la première étape de la rénovation du musée qui déjà, par ses collections, fait le lien entre l’Antiquité et l’époque médiévale. De l’art de la transition.

Ce qui relève de l’art de l’architecte
par Philippe Gresset
Appuyé par le dessin, cet essai sur l’espace architectonique nous conduit de l’enveloppe architecturale à la composition urbaine, d’Alberti à Christian de Portzamparc et Bernard Huet. Dissection en quatre parties.
• Thierry Delcommune, Roland Matthu, L’Espace architectonique entre création et expérience, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2017.

Le paysage, cela se construit aussi
par Gabriel Ehret
À l’heure où la Cité de l’architecture ouvre ses galeries à une exposition explorant la représentation du chantier, il est intéressant de voir, au-delà de la dimension “construction”, ce que le vocable chantier signifie dans le domaine du paysage. Tout commence par une controverse entre Blondel et Vauban…
• “Le Chantier”, Les Carnets du paysage, n° 32, automne 2017. Revue de l’École nationale supérieure de paysage Versailles-Marseille, publiée par Actes Sud.

Autour de la Neustadt, nouveaux regards sur Strasbourg
par Gauthier Bolle et Amandine Diener
Longtemps rejetée par les Strasbourgeois, car perçue comme un quartier allemand, la Neustadt est un laboratoire urbain qui fait le pont entre le XIXe et le XXe siècle. Reconnu aujourd’hui par l’Unesco, ce morceau de ville est riche de transferts culturels. Trois publications nous guident sur cette voie.
• Roland Recht, Jean-Claude Richez (dir.), Dictionnaire culturel de Strasbourg, 1880-1930, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2017.
• Marie Pottecher, Hervé Doucet, Olivier Haegel (dir.), La Neustadt de Strasbourg, un laboratoire urbain, 1871-1930, Lyon, Lieux dits, 2017.
• Wolfgang Brönner, Anne-Marie Châtelet (dir.), Strasbourg. Lieu d’échanges culturels entre France et Allemagne. Architecture et urbanisme de 1830 à 1940, Munich, Deutscher Kunstverlag, 2018.

L’UAM au cœur d’une modernité du XXe siècle ?
par Guy Lambert
Née d’une scission en 1929 d’avec les “artistes décorateurs”, l’Union des artistes modernes dépasse l’idée d’un groupement artistique pour s’affirmer comme un mouvement européen d’avant-garde. Le collectif, l’interdisciplinarité et l’engagement sont la marque de cette nébuleuse artistique. Trois publications nous aident à décrypter le phénomène.
• Olivier Cinqualbre, Anne-Marie Zucchelli (dir.), UAM. Une aventure moderne. L’exposition, Paris, Centre Pompidou, 2018.
• Catalogue : Olivier Cinqualbre, Frédéric Migayrou, Anne-Marie Zucchelli (dir.), UAM. Une aventure moderne, Paris, Centre Pompidou, 2018.
• Cécile Tajan, UAM. Les modernes à l’épreuve, préface de Jean-Louis Gaillemin, Paris, Norma, 2018.

Le mouvement par essence
par Rémi Guinard
À pied, à vélo, à moto, en voiture, en car… Le road movie est un genre construit sur le principe même de mobilité. Si celle-ci n’est pas le thème du film Shéhérazade tourné à Marseille, elle en est le fil conducteur. Mais lorsque la technologie s’empare du 7e art, les choses prennent une autre tournure. Analyse par une traversée de films qui ont marqué les quatre dernières décennies.
 

LA BIBLIOGRAPHIE
 


 

Trimestriels parus