Éditorial
Du métro à la métropole - “Mobile dans l’élément mobile.” La devise du Nautilus, gravée dans nos mémoires par Jules Verne, est plus que jamais d’actualité. Avides de technologie, les voyageurs qui se déplacent dans notre monde contemporain conjuguent toujours plus mobilité et ubiquité.
Dans les transports en commun, qu’ils soient aériens, en surface ou souterrains, l’outil numérique les transporte ailleurs. L’écran a remplacé la fenêtre et le hublot.
La mobilité convoque régulièrement la modernité. Après l’arrivée du chemin de fer qui, au XIXe siècle, a modifié la notion de porte de ville en rapprochant celle-ci du cœur de la cité avec les gares, le XXe siècle a accéléré les choses avec l’arrivée de l’avion, développant les hubs et autres malls d’aéroports. Visions utopiques ou projets construits, l’architecture joue là pleinement son rôle. Des dessins du jeune Antonio Sant’Elia pour une città nuova, en 1914, à la Lower Manhattan Expressway imaginé en 1970 par Paul Rudolph en passant par les mégastructures des métabolistes japonais dans les années 1960, la mobilité inspire sans cesse et pousse à aller plus loin dans la recherche de nouveaux concepts. Jusqu’à Christian de Portzamparc qui imagina, lors de la consultation internationale pour le Grand Paris en 2008, un nouveau métro aérien greffé en superstructure sur l’anneau du Périphérique. C’est dans la complexité de la ville que se joue la maîtrise des flux.
S’agissant du métro, si les architectes ont laissé leur empreinte sur les réseaux (Hector Guimard à Paris, Otto Wagner à Vienne, Harry Weese à Washington, Norman Foster à Bilbao…), ce sont les tunneliers géants des ingénieurs qui ont œuvré dans les strates de la ville devenue métropole. Ces engins qui, hier, ont réussi la percée du tunnel sous la Manche s’activent aujourd’hui dans les sous-sols de la périphérie parisienne pour construire le réseau du Grand Paris Express d’ici à 2030. Avec ses 200 kilomètres de lignes et ses 36 milliards d’euros d’investissements, ce plus grand chantier d’Europe, qui a déjà remporté le prix d’urbanisme de l’université Harvard, va sans nul doute changer la vie des dix millions de Franciliens qui habitent autour de Paris.
Depuis la profondeur jusqu’à la surface, la prouesse technique se double d’un défi architectural car il s’agit de créer de véritables lieux articulés avec l’espace public. Soixante-huit gares à terme, autant de quartiers de gare en perspective, autant de débats parfois clivants sur le devenir des périphéries. Entre rééquilibrage et résilience, la ville se cherche une issue de secours dans le tissu existant.
Autant d’enjeux mis en lumière par l’exposition “Métro ! Le Grand Paris en mouvement”, présentée dès novembre à la Cité de l’architecture et du patrimoine et accompagnée d’un cycle de conférences et de débats pendant six mois. Rappelons-nous que pour la première fois, en 1934, le Métropolitain sortait de Paris, par la ligne 9, pour rejoindre Boulogne-Billancourt. Aujourd’hui, la double boucle du Grand Paris Express se déploie autour de la capitale : un véritable changement d’échelle et de paradigme. Une nouvelle carte mentale se dessine.
Francis Rambert
Parution le 26 octobre
SOMMAIRE
LE THÈME
Chronique d’une ville faite avec les pieds
par Olivier Namias
Le destin des villes ne dépendrait-il pas de l’issue de la guerre que se livrent depuis plus d’un siècle la roue et la chaussure ? Derrière cette lutte, celle de la route contre la rue, du réchauffement climatique contre l’îlot de fraîcheur, de la vitesse contre la lenteur, du flux contre l’immobilité, de l’asphalte contre le pavé, du territoire contre le quartier, de l’automobiliste contre le piéton, du vilebrequin contre la pédale. Changer la voie : un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’urbanité…
En tandem sur les voies
par Sophie Trelcat
La Société du Grand Paris a lancé une commande historique de 500 œuvres qui seront intégrées dans les 68 gares de son réseau de transport. Relevant d’une architecture d’auteur, ces dernières représentent chacune un élément d’identification singulier s’appuyant sur une démarche de co-construction entre les créateurs. Baptisé “Tandems”, ce processus de production et de collaboration entre architectes et artistes est unique et promet d’aboutir à l’une des plus importantes galeries d’art à ciel ouvert dans le monde.
De la pagode à la galerie
par Jean-François Pousse
Emblématiques de la diversité des concepts architecturaux qui marque le réseau du Grand Paris Express, les gares Noisy-Champs et Pont de Sèvres répondent à deux situations urbaines bien particulières. Qu’il s’agisse de réunir deux communes ou de relier une île, les deux équipements sur le parcours de la ligne 15 jouent entre visible et invisible.
Une strate de design dans les sous-sols
par Philippe Trétiack
À chaque époque son style. Depuis Guimard, du temps de l’Art nouveau, le métro fabrique son identité. Le futur réseau du Grand Paris Express aura la sienne : le designer Patrick Jouin et le graphiste Ruedi Baur l’ont définie. L’approche esthétique ne saurait se faire au détriment de l’aspect pratique : la maintenance a aussi guidé les choix.
Au-delà de la technique
par Jean-Pierre Le Dantec
On peut s’interroger aujourd’hui sur le glissement sémantique d’“ouvrage d’art” à “infrastructure”. On peut noter également la prise en compte de la dimension paysagère de l’autoroute depuis les années 1990. De l’autoroute Blanche au viaduc de Millau, l’enjeu ne porte pas que sur la technique de franchissement.
De l’emblématique à l’ordinaire
par Laura Fontaine
Droits ou en courbe, qu’ils soient conçus par un ingénieur ou un architecte, les ponts et les passerelles en appellent à l’intelligence constructive. D’où les défis techniques et esthétiques, qui ne se limitent pas à des records de portée. Fabriquer du lien, c’est l’enjeu des paysages de l’infrastructure.
Vers une ville de la marche
par Mathieu Mercuriali
Avec ou sans smartphone, la marche est sans doute le mode de déplacement le plus commun. Dans le tissu métropolitain francilien, en pleine recomposition avec les gares et les espaces publics du Grand Paris Express, l’heure est à la réflexion sur les usages.
Quand le mode tramway revient à la mode
par Christine Desmoulins
Oubliés les trams cahoteux d’antan. Au cœur de projets urbains d’envergure, des véhicules fuselés contribuent aujourd’hui, comme hier, à l’identité des agglomérations. Un retour sur les rails, relancés dès 1975. Ils se faufilent sans caténaires dans les quartiers historiques, comme ils irriguent les territoires périphériques.
Gare à l’anamour !
par Jean-Philippe Hugron
De Paris à Vilnius, de Londres à Madrid, de Budapest à Stuttgart, les gares sont au centre d’enjeux urbains et architecturaux, voire politiques, où guette le conflit d’intérêts. Aux questions d’usage et de rentabilité se superposent les considérations patrimoniales, tandis que la lente mise en œuvre de ces projets essentiels les menace parfois d’obsolescence prématurée. Autant de risques pour ces grands équipements ferroviaires de faire basculer l’opinion de l’amour à l’anamour.
Du pôle d’échanges au pôle urbain
par Gabriel Ehret
Machine puissante et efficace créée en 1976 par René Gagès pour faire circuler tous les modes de transport, le centre d’échanges de Lyon-Perrache amorce sa mutation pour 2028. L’ancien monolithe va se percer pour ouvrir une grande fenêtre urbaine. Réorganiser les flux, c’est l’esprit de cette métamorphose qui compose avec la structure de Jean Prouvé.
[Im]mobilité - Repères chronologiques, 1929-2023
par Christine Carboni
L’ENTRETIEN
Cédric Klapisch
“Je pense que la modernité peut aussi fabriquer de la convivialité et de l’humain”
Propos recueillis par Francis Rambert
Il est le cinéaste de la ville. Elle est son personnage. Amateur d’architecture, Cédric Klapisch se nourrit de la substance de la ville pour nous parler de la vie contemporaine. Nous ne sommes pas, là, dans le cinéma d’auteur, mais dans celui d’une œuvre qui inscrit les fictions dans le contexte urbain, et surtout dans les quartiers en mutation. À Barcelone, à Saint-Pétersbourg, à Athènes et, beaucoup, à Paris, modèle de densité oblige, son travail s’attache à montrer ce que la ville produit comme opportunités. L’angle est plutôt positif, révélateur d’une vision optimiste de la condition urbaine et métropolitaine. Le réalisateur nous dit ce que son métier partage avec celui d’architecte.
L’ESPACE CRITIQUE
Tendance
In utero ?
par Richard Scoffier
Qu’est-ce qui nous a poussé à sortir de ce monde doux, tempéré, protégé dans lequel nous vivions en apesanteur sans avoir besoin de travailler ni de manger ? Qui se souvient de son effroi et de ses hurlements quand il en a été chassé, comme avant lui Adam du Paradis, pour être jeté dans l’existence ?
Nancy, nouveau dôme, nouveaux bassins
par Philippe Trétiack
Reprendre la copie là où elle s’était arrêtée au début du XXe siècle, revitaliser le projet inachevé de Louis Lanternier, réadapter le lieu aux nouveaux usages du bien-être, tel était l’enjeu de cet ensemble thermal, en cœur de ville.
Une joyeuse complexité
par Francis Rambert
Dans la périphérie de Madrid, le Colegio Reggio n’est pas une école comme les autres. Son concept expérimental, signé Andrés Jaque, est la réponse à un programme pédagogique particulier. Les enfants montent dans les étages au fur et à mesure qu’ils grandissent. L’éveil à l’architecture fait partie du parcours d’initiation à la vie. Couleurs, matérialité et biodiversité sont au programme de ce vaisseau éducatif.
Chandigarh selon Nowicki
par Fabien Bellat
Nul doute que la marque de Le Corbusier et de Pierre Jeanneret s’est durablement imprimée à Chandigarh, exemple de ville-nature. Mais avant que les architectes français ne se penchent sur l’avenir de la nouvelle capitale du Pendjab, un architecte polonais, Maciej Nowicki, avait conçu pour elle une série de lieux et dessiné des bâtiments. Il prévoyait alors deux voies et non six.
Se construire et habiter
par Mélanie Meunier
Enseignante-chercheuse, grande spécialiste du logement qu’elle analysait toujours à l’aune de l’usage, la sociologue Monique Eleb nous a quittés le 26 mai 2023, à l’âge de 77 ans. Ses écrits restent.
Architecte-urbaniste, penseur de la ville, il aimait écrire, débattre, transmettre et surprendre. Grande figure de l’école d’architecture de Versailles, il savait partager ce sentiment d’urbanité avec toutes les générations. Philippe Panerai s’est éteint le 11 mai dernier à l’âge de 82 ans. Vincent Lavergne, David Mangin et Gwenaël Querrien évoquent sa mémoire.
Une pensée critique et transversale
par Vincent Lavergne
L’éternel amoureux des villes
par David Mangin et Gwenaël Querrien
L’art et la matière des infrastructures
par Guy Lambert
Dans quelle mesure l’attention aujourd’hui accordée aux infrastructures du numérique, en raison de leur extension effrénée et de leur consommation énergétique, croise-t-elle le regard porté plus largement sur la matérialité et l’imaginaire des réseaux qui ont façonné le monde contemporain ? La confrontation de trois publications récentes invite à y réfléchir.
• Carlotta Darò, Paysage de lignes. Esthétique et télécommunications, Genève, MétisPresses, 2022.
• Fanny Lopez, Cécile Diguet, Sous le feu numérique. Spatialités et énergie des data centers, Genève, MétisPresses, 2023.
• Éric Monin (dir.), Sur la bouche, hors-série n° 2 de la revue Profane, mars 2023.
Road movie mystique au Vietnam
par Rémi Guinard
Le scooter a son histoire dans le cinéma, et le road movie est un genre qui traverse le 7e art. De Nanni Moretti à Dennis Hopper, de Wim Wenders à Jim Jarmusch, le parcours peut être totalement urbain comme ouvert sur le paysage. De travelling en travelling, Pham Thien An nous emmène de Saigon à un village de la campagne vietnamienne. Et la quête peut prendre la forme d’un pèlerinage.
• L’Arbre aux papillons d’or, de Pham Thien An (Vietnam/Fr./Esp./Singapour, 178’, 2023). En salles le 20 septembre 2023.
LA BIBLIOGRAPHIE