Archiscopie 27 - octobre 2021

Éditorial

Espérance de vie et espérance d’espace - Bien vieillir, tout le monde y aspire. Mais dans quels lieux ? Bien vieillir ensemble, c’est un sujet sociétal et architectural qui mérite la plus grande attention pour rendre les choses plus supportables.

En un mot, plus vivables. Mais, dès lors, quelle architecture pour la vieillesse ? Faut-il d’ailleurs qu’elle soit à ce point spécifique ? Car la question du maintien à domicile se pose dans toutes les dimensions du problème.
Qu’on les appelle seniors, anciens ou personnes âgées, l’important est qu’ils soient bien logés. En France, où 18 millions d’habitants ont aujourd’hui plus de 60 ans, l’enjeu est majeur. Et d’après les projections, cette population représenterait une personne sur trois en 2060, ouvrant ainsi encore plus la porte à la “silver économie”.
Autant dire que ce segment vise surtout les gens autonomes et indépendants, pour ne pas dire encore bien actifs. Aux autres, fragiles et dépendants, il faut offrir une assistance, avec des structures adaptées. On ne saurait parler de logement sans considérer en effet le grand âge et la maladie d’Alzheimer. Mais peut-on se contenter d’apporter des réponses techniques ? Hertzberger nous a montré dans les années 1970, à Amsterdam, qu’il y avait une autre voie à emprunter.
L’autre enjeu est de maintenir les plus âgés en ville, de ne pas les envoyer dans des structures reléguées en périphérie, parfois sur des ronds-points à la sortie de la ville. Or ces EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) et autres maisons de retraite sont devenus des programmes où, au lieu de “projets”, l’on raisonne trop souvent en termes de “produits”. 
Entre dépendance et résilience, c’est toute la question de la “fragilité” qui est ainsi posée, dans une ville contemporaine qui se doit d’être inclusive. L’objectif est d’éviter les “ghettos de vieux” en favorisant la mixité sociale. Il s’agit d’explorer les typologies alternatives qui intègrent notamment des programmes intergénérationnels. Si le contexte métropolitain se prête à ce type de montage, on voit aussi se développer une série de projets intéressants, portés par des maires engagés, dans de petites communes et sur des territoires ruraux.
Après des projets emblématiques comme l’immeuble WoZoCo de MVRDV à Amsterdam, le concept de résidence de verre de Jean Nouvel à Rueil-Malmaison, les logements articulés avec le marché Santa Caterina en plein cœur de Barcelone par EMBT, ou bien encore la résidence à Alcácer do Sal au Portugal conçue par Aires Mateus, de nombreux projets réalisés dans l’Hexagone à différentes échelles et dans divers contextes confirment que l’on peut faire autrement. La résidence de Lacaton & Vassal à Rixheim, nouvelle expérimentation spatiale, en est la preuve.
Archiscopie accompagne l’exposition “Bien vieillir ensemble” que la Cité de l’architecture & du patrimoine présente, en cette fin d’année, dans son Laboratoire pour le logement. L’idée est de nourrir la réflexion pour aller plus loin encore dans cette démarche éminemment sociale.
Francis Rambert

SOMMAIRE


LE THÈME

 

Bien vieillir, mais où ?
par Jean-François Pousse
Vieille France ? Progression de l’espérance de vie aidant, 18 millions d’habitants ont plus de 60 ans. Et ils seront bien plus en 2050. Pour cette population, objet de la “silver économie”, de nombreux produits immobiliers existent, avec les services qui vont avec. Mais la question centrale reste le senior en perte d’autonomie, ce qui rend difficile le maintien à domicile. De la résidence au béguinage, en passant par les programmes intergénérationnels, les architectes travaillent sur des alternatives à l’EHPAD. Lutter contre l’isolement est la priorité.

Au Sud, recherche en cours pour les anciens
par Ivan Blasi
Dans la péninsule Ibérique, environ 20 % des habitants ont plus de 65 ans, et 7 % d’entre eux vivent dans des résidences spécialisées. Ce type de programme, qui implique autant la ville que l’architecture, fait l’objet d’expérimentations intéressantes, souvent remarquées par le jury du prix Mies van der Rohe. Zoom sur six opérations qui repensent la question du logement.

En territoire germanophone, vieillir devient une affaire collective
par Susanne Stacher
Outre-Rhin et au-delà, l’idée est de lutter contre la double peine qu’est la perte d’autonomie associée à l’érosion de la qualité de vie. L’enjeu consiste à réinventer l’habitat dans des projets qui mêlent le participatif et l’intergénérationnel, sans perdre de vue l’adaptation des logements. Exemples dans la capitale autrichienne, dans une commune allemande en Forêt-Noire ainsi qu’en Suisse, dans la capitale de la finance, Zurich, comme à Coire dans le canton des Grisons.

La lutte contre l’isolement dans la métropole japonaise
par Cécile Asanuma-Brice
Le Japon n’est pas épargné par le mal-logement des anciens. Dans l’archipel nippon, où près de 30 % de la population a plus de 65 ans, environ un tiers des seniors se paupérise. Dans un tissu urbain hyperdense, le défi est alors de créer des lieux propices au lien social, où les services et les programmes intergénérationnels puissent se développer. Exemples à Tokyo et à Yokohama.

Nouvelles générations, nouveaux (dés)équilibres
par Françoise Ged
Il est loin, le temps de “quatre générations sous le même toit”. Après la politique de l’enfant unique, la Chine, qui autorise désormais les couples à avoir trois enfants, vit à l’heure de la génération des “4.2.1”. Les trajectoires individualistes engendrées par les nouveaux modèles économiques n’empêchent pas certains architectes de développer un travail très fin avec les habitants. Exemple à Pékin.

Adapter le logement, c’est une priorité
par Monique Eleb
Des logements adaptés certes, mais pas sans quartiers équipés. Et si la ville est propice à la cohabitation intergénérationnelle, la question de la spatialité à l’intérieur des résidences est l’une des clés du bien-être. Et si on laissait aux architectes le soin de créer les bonnes conditions pour habiter ?

Un retour aux sources
par Mathieu Mercuriali
Et si l’on parlait d’une ville qui accompagne le cycle de la vie ? Une ville ou un village où les habitants sont acteurs de leur lieu de vie, qui doit pouvoir évoluer au fil du temps. Quelle que soit l’échelle, les aménagements urbains et les projets de nouvelles formes d’habitation proposent des alternatives aux EHPAD pour redonner de la valeur à la transmission et au partage intergénérationnel.

Quand l’architecture cherche à stimuler les sens
par Christine Desmoulins
Depuis son ouverture il y a trente ans à Ivry-sur-Seine, le pavillon de l’Orbe, conçu avec tendresse par l’architecte visionnaire André Bruyère, excelle à stimuler la vitalité de ses patients. D’autres architectes prolongent aujourd’hui en d’autres lieux cette logique en tentant de s’abstraire de la notion de bâtiment spécifique pour mieux maintenir les personnes âgées dans la vie sociale. Il y va du bien-être.

Les “vivants piliers” de la mémoire urbaine
par Guy Lambert
Loin de l’idée de déclin souvent associée à la vieillesse, la force de quelques figures semblant défier les années est de nouer avec certains lieux dans la ville des relations tellement intimes que l’humain et le cadre bâti tendent à jouer ensemble le rôle de vecteur du patrimoine et de la mémoire urbaine.

Vers une architecture bienveillante - 1962-2021
par Christine Carboni
Repères chronologiques

 

L’ENTRETIEN

 

LACATON & VASSAL
L’espace est quelque chose de fantastique, notamment quand on voit ce que les gens en font
Propos recueillis par Francis Rambert
Engagés depuis le début de leur parcours dans la cause du logement, avec la maison Latapie à Floirac en 1993 puis la maison du Cap-Ferret en 1998, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal ont toujours défendu l’idée d’une liberté offerte à l’habitant par la générosité spatiale. Ce “plus” a même été théorisé avec Frédéric Druot en 2004 où les grands ensembles ont été présentés comme des territoires d’exception. Trois ans après l’expérience de la Cité manifeste à Mulhouse, Jean Nouvel les invitera à participer à sa réflexion prospective sur le Grand Paris en 2008. Si la transformation de la tour Bois-le-Prêtre à Paris (avec Frédéric Druot) leur vaudra le prix de l’Équerre d’argent, la mutation des barres du Grand Parc à Bordeaux (réalisée avec Frédéric Druot et Christophe Hutin) les verra obtenir le prix Mies van der Rohe. Mais, cette année, lorsque le jury leur décerne le prix Pritzker, c’est aux yeux du monde que s’impose la reconnaissance d’un travail de fond tourné avant tout vers l’usage. Le regard de Lacaton & Vassal sur la production du logement nous interroge sur bien des processus.

 

L’ESPACE CRITIQUE


Tendance
Ainsi va le baldaquin

par Richard Scoffier
Les bâtiments modernes ont tendance à se soulever du sol pour offrir au-dessous d’eux un espace public à l’abri des intempéries. Mais remontons le cours du temps pour interroger les dispositifs architecturaux les plus archaïques qui abritent et qui protègent des caprices des cieux : les tentes, les arcades, les dais et les baldaquins…

Une affaire de casting
par Philippe Trétiack
La transformation en plein cœur de Paris de la bourse de commerce comme de l’îlot de la Samaritaine et l’ouverture à Arles de la Fondation Luma sur d’anciennes friches ferroviaires montrent que les grands projets s’inscrivent aujourd’hui dans la thématique de la mutation du patrimoine construit. Cette trilogie confirme également la puissance des nouveaux commanditaires. Privés en l’occurrence.

Un nouveau lieu pour les cinéphiles
par Sophie Trelcat
À l’inverse d’un multiplexe d’entrée de ville, Le Pont des Arts à Marcq-en-Barœul, pôle culturel intégré à un quartier ouvrier, redonne le goût d’aller au cinéma. Cet ensemble de quatre salles n’a rien d’une boîte générique et affirme une matérialité : béton pour les intérieurs, brique pour les façades en lien avec le contexte et textile pour les tapisseries évoquant l’histoire du 7e art.

Franck Hammoutène, en toute intelligence constructive
par Christine Desmoulins
Inventif et estimé de ses pairs et des maîtres d’ouvrage, l’homme élégant et discret au regard vert en alerte nous a quittés le 14 septembre, victime d’un AVC à 67 ans. Il faisait partie des 40 + 40 architectes de moins de 40 ans repérés par l’Ifa au début des années 1990.

Histoire(s) de villes
par Gabriel Ehret
Deux livres signés Pierre Gras font pénétrer le lecteur en profondeur dans l’histoire de quatre métropoles depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Pour Rome, c’est à travers ses mutations politiques comme urbanistiques, culturelles comme sociales. Côté Gênes, Le Havre et New York, l’auteur démêle les récits que tissent leurs élus afin de motiver habitants et investisseurs.
• Pierre Gras, Mettre en récit l’urbanité des métropoles portuaires, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2020, 245 p., 24 €.
• Pierre Gras, Une autre Rome, Lyon, Libel, 2021, 288 p., 21 €.

L’âge, sans complaisance
par Rémi Guinard
Terrible solitude, huis clos macabre, misère insoupçonnée, ruine physique et mentale… Depuis sa naissance, le 7e art ne nous épargne pas de sombres constats sur la vieillesse. Quel que soit l’angle de vue : depuis l’espace transmanche, depuis la Ville éternelle ou celle de Cergy-Pontoise, ou depuis une somptueuse maison à Téhéran, la dimension pessimiste prend différents reliefs. Mais, heureusement, on peut toujours compter sur Pierre Tchernia pour nous offrir une vision plus optimiste.
Umberto D., de Vittorio De Sica (Italie, noir et blanc, 1952, 89’). En Blu-ray et DVD, Carlotta Films.
After Love, d’Aleem Khan (G.-B./Fr., 2020, 91’). En salles depuis le 29 septembre.
J’ai aimé vivre là, documentaire de Régis Sauder (France, 2020, 89’). En salles depuis le 29 septembre.
L’Échiquier du vent, de Mohammad Reza Aslani (Iran, 1976, 2h21). En salles depuis le 18 août.

Enseignement
Ouvrir les imaginaires…
par Rémy Marciano
Archiscopie poursuit son panorama de l’enseignement de l’architecture à l’heure des grandes transitions. Cap au sud, cette fois, avec Rémy Marciano qui enseigne le projet (TPCAU) à l’ENSA de Marseille, où il fait équipe avec José Morales. C’est pour lui un outil exploratoire. Lauréat des Ajap en 2002, il choisit très vite de s’engager dans l’enseignement qu’il voit comme une remise en question permanente en lien avec les bouleversements sociétaux. C’est la dimension “laboratoire” qui le motive dans cette transmission du métier. Dans ce cadre, il a notamment développé un séminaire intitulé “Carnets curieux”, l’enjeu est de révéler la poésie cachée des territoires. Ainsi emmène-t-il régulièrement ses étudiants aux Rencontres photographiques d’Arles. Il est par ailleurs l’auteur du lumineux learning center du campus universitaire de Luminy, fruit de la transformation d’un restaurant universitaire hexagonal.

 

LA BIBLIOGRAPHIE
 


 

Trimestriels parus