Archiscopie 25 - avril 2021

Éditorial

Et si l’infrastructure devenait un scénario d’architecture ? - On ne cessera sûrement pas de regretter la disparition des halles de Baltard à Paris, démolies en 1973 pour laisser la place à d’autres infrastructures plus souterraines. L’actualité aujourd’hui est la construction du réseau du Grand Paris Express, univers piranésien en devenir.

On se souvient du très bon projet de Claude Vasconi en 1983 pour une salle de rock glissée au cœur des infrastructures de l’Est parisien, dans l’échangeur de la porte de Bagnolet, entre Périphérique et banlieue. Hélas sans lendemain. À Rio de Janeiro en revanche, Christian de Portzamparc parviendra à faire émerger un grand vaisseau de béton de l’océan des voies rapides, la Cidade das Artes, inscrivant dès lors la culture au carrefour de grands axes.
Dans les années 1960, les architectes métabolistes japonais avaient fait de l’infrastructure un véritable sujet d’architecture. De puissantes structures verticales ou horizontales venaient proposer un autre urbanisme, sur l’eau ou sur la terre ferme. Depuis, on a vu se construire le terminal pour ferries de Yokohama en 2002, selon un projet de FOA, faisant disparaître l’infrastructure au profit de l’espace public.
Une vingtaine d’années après la transformation du viaduc ferroviaire de la Bastille à Paris, la High Line de New York a confirmé que l’on pouvait reconquérir de l’espace public à partir d’infrastructures existantes. Et l’intervention opérée par NL architects à Zaanstad pour réparer la ville traversée par une puissante autoroute reste un exemple de résilience. Passer de la coupure à la suture, c’est la priorité.
Hyperfonctionnelle et fondamentalement technique, l’infrastructure a toujours participé à la modernité ; elle est indissociable de l’aménagement du territoire et de la fabrication de la ville. Dès lors, pourquoi ne pas lui donner une dimension architecturale plus affirmée ? On ne parle pas là de performance ni de record, mais de projet pour rendre la ville encore plus inclusive. Et le futur pont Simone-Veil à Bordeaux conçu par OMA à partir de différentes séquences va dans ce sens. Quant au Lightwalk, qui nous conduira bientôt dans les profondeurs de Séoul selon un scénario de Dominique Perrault, il explore aussi une nouvelle typologie. L’architecture est là dans son rôle : inventer pour mettre en relation.
Depuis toujours, du pont du Gard au viaduc de Millau en passant par le pont-canal de Briare, l’architecture a le génie de transformer une infrastructure en ouvrage d’art dans le grand paysage. Une rencontre fertile que les cinéastes ont su capitaliser dans leurs univers, de L’Enfer de Clouzot se saisissant du viaduc de Garabit à Sueurs froides d’Hitchcock mettant en scène le Golden Gate Bridge. Et si Truffaut a su nous embarquer sur le parcours d’un monorail pour son Fahrenheit 451, Wenders a rendu un magnifique hommage à Pina Bausch en utilisant non seulement le contexte du train suspendu de Wuppertal mais aussi les monumentales installations industrielles de la Ruhr. Preuve est faite que l’infrastructure peut être support de la création. Un carrefour où sont attendus, dans le réel, les architectes, les paysagistes et les artistes.
Francis Rambert

 

SOMMAIRE


LE THÈME

 

Réseautopia, l’horizon utopique de l’infrastructure
par Olivier Namias
Entre-ville, cité diffuse, ville franchisée ou smart city, autant d’expressions et de concepts recoupant tout ou partie de l’espace urbain modelé par les réseaux. Adieu ville, bonjour Réseautopia, territoire moderne soumis aux contraintes de sa méta-infrastructure, Frankenstein échappant à ses créateurs.

L’open space a-t-il encore un avenir ?
par Christine Desmoulins
Alternative au bureau cloisonné, l’espace ouvert n’est pas toujours bien vécu dans le monde tertiaire. À l’heure de la flexibilité maximale recherchée dans ce type de programme, l’open space se réinvente pour montrer sa capacité à favoriser les échanges au sein de l’entreprise. Exemples dans une série de nouveaux lieux à Paris et aux alentours.

La clé des champs ou l’heure du bureau nomade
par Mathieu Mercuriali
Si trois Français sur quatre travaillent dans le tertiaire, combien souhaitent encore exercer dans un bureau ? À l’évolution des manières de travailler, du taylorisme au “googlisme”, s’ajoute l’effet de la pandémie qui interroge le lieu de travail. La fluidité spatiale que Julien Guadet appelait de ses vœux à la fin du XIXe siècle se retrouve aujourd’hui dans le flex office, le bâtiment hybride, voire le tiers-lieu.

Le bureau n’est plus ce qu’il était
par Philippe Trétiack
Virus aidant, la “tech” aurait-elle porté un coup fatal aux espaces de bureaux ? La visioconférence tous azimuts va-t-elle assécher les relations humaines ? Déjà, à l’ère des start-up, de nouveaux lieux et de nouvelles pratiques avaient émergé, mais que vont-ils devenir ?

Le bureau, terre d’expérience
par Francis Rambert
Dans le laboratoire urbain de Lyon Confluence, un bâtiment se distingue par sa matérialité comme par son mode constructif. Émerge ainsi, en pleine ZAC, un petit immeuble tertiaire en terre destiné à des start-up. Une expérimentation réussie, fruit d’une aventure humaine.

Les habits noirs de la reconversion
par Jean-François Pousse
Navire amiral du patrimoine postal, la Poste du Louvre, œuvre-manifeste de Julien Guadet inaugurée en 1888, est un îlot au sein duquel s’est longtemps cachée une usine métallique derrière des façades de pierre. Avec la chute du volume du courrier, l’obsolescence du bâtiment a précipité sa mutation. Dominique Perrault a ainsi transformé ce monument monofonctionnel d’hier en un ensemble multifonctionnel de 32 000 m2 intégrant majoritairement des bureaux mais aussi un commissariat, un hôtel… Dans cette métamorphose où la couleur noire domine, l’îlot est devenu aussi urbain que traversant.

Faire rotule entre formation, recherche et entreprise
par Gabriel Ehret
L’innovation, c’est le maître mot. Qu’il s’agisse de la pousser d’une manière transversale ou de l’engager dans une voie prospective, la stratégie est à l’œuvre en France pour rapprocher le monde de la formation et la sphère de l’entreprise. Entre campus et creuset, exemples d’interfaces à Villeurbanne, Saint-Étienne, Clermont-Ferrand et Aix-en-Provence.

Travailler. Bureau, domicile, tiers-lieu. De Bartleby à la pandémie de Covid-19
par Christine Carboni
Repères chronologiques

 

L’ENTRETIEN

 

ALBERT MOUKHEIBER
La complexité est un antidote à l’uniformisation
Propos recueillis par Francis Rambert
Il analyse, pratique et enseigne. Docteur en neurosciences cognitives et psychologue clinicien, Albert Moukheiber est un scientifique qui se distingue par son approche humaniste, privilégiant le registre émotionnel dans un monde perçu comme hyper-rationnel. Cofondateur de la plateforme Chiasma et fondateur d’ACTE Lab, ce chercheur franco-libanais travaille sur le raisonnement critique, autant qu’il étudie les comportements et alerte sur l’écologie. La résilience de Beyrouth, ville durement frappée par une explosion dévastatrice en 2020, est au cœur de ses préoccupations. Penser l’humain dans son espace, privé ou public, c’est l’enjeu.

 

L’ESPACE CRITIQUE


Tendance
Babylone contre Athènes

par Richard Scoffier
Et si, loin des Grecs et de leur Parthénon revisité par Le Corbusier dans Vers une architecture, c’était plutôt du côté des Perses que regardaient les architectes contemporains ?

Drapé contemporain au théâtre Legendre
par Christine Desmoulins
Fermé pendant treize ans, le théâtre d’Évreux, pièce du patrimoine de la Belle Époque, a rouvert ses portes. Exemple de restauration et de greffe contemporaine, ce travail mené à bien par Opus 5 a dynamisé la ville normande. Pour ce nouveau lever de rideau, le béton blanc s’est invité dans une discussion avec la modénature de brique et de silex.

De très politiques reconstructions
par Fabien Bellat
C’était déjà le monde d’après. Sortir des ruines après les hostilités, effacer le cauchemar des villes martyres après les bombardements pose la question de la reconstitution du patrimoine urbain, de Coventry à Stalingrad en passant par Berlin, Le Havre ou Saint-Malo. S’ouvre alors le débat entre restitution plus ou moins juste et réinterprétation, voire modernisation radicale. La guerre terminée, l’architecture reste un outil tactique. Les années 1950 auront cristallisé les positions.

Une approche résolument contextuelle et urbaine
par Serge Santelli
Vingt ans après la disparition de Bernard Huet, deux ouvrages nous invitent à relire sa pensée. Formé un temps par Louis Kahn, le fondateur d’UP8, future ENSA de Paris-Belleville, dénonçant “l’arrogance de l’architecture”, s’est toujours fait l’ardent défenseur d’une attitude au service de la ville. Après avoir participé à l’exposition “La présence du passé” à la Biennale de Venise en 1980, le théoricien-praticien s’est beaucoup investi sur la question de l’espace public, dont le parvis de la cathédrale d’Amiens.
• Marie-Jeanne Dumont, Antoine Perron, UP8. Pour une pédagogie de l’architecture (1966-1978),
Paris, Zeug / ENSA Paris-Belleville, coll. Arguments, 2020.
• Bernard Huet, De l’architecture à la ville. Une anthologie des écrits de Bernard Huet,
textes réunis et présentés par Juliette Pommier, Paris, Zeug / ENSA Paris-Belleville, coll. Arguments, 2020.

À l’écoute de la richesse sonore des lieux
par Guy Lambert
Dans quelle mesure la toute récente reconnaissance légale du “patrimoine sensoriel des campagnes françaises” fait-elle écho à l’attention croissante accordée aux ambiances architecturales, urbaines et paysagères ? Elle invite du moins à relire quelques-unes des publications consacrées ces dernières années aux espaces sonores, à commencer par la réédition des écrits fondateurs de Raymond Murray Schafer, promoteur de la notion de soundscape.
• Raymond Murray Schafer, Le Paysage sonore. Le monde comme musique [1977], trad. par Sylvette Gleize, Marseille, Wildproject, 2010 (rééd. 2019).
• Carlotta Darò, Avant-gardes sonores en architecture, Dijon, Les Presses du réel, 2013.
• Claire Guiu, Guillaume Faburel, Marie-Madeleine Mervant-Roux, Henry Torgue et Philippe Woloszyn (dir.),
Soundspaces. Espaces, expériences et politiques du sonore, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

Une matinée chez Jean Perrottet
par Olivier Namias et Claire Gausse
Il avait pensé à la religion, puis à l’armée, c’est finalement dans l’architecture qu’il s’est engagé. Disparu le 26 février dernier à l’âge de 95 ans, Jean Perrottet a participé à l’aventure de l’AUA dont il fut l’un des fondateurs en 1960. Il y forma une équipe avec Jacques Kalisz, puis son association avec Valentin Fabre l’amena à se plonger dans l’univers du théâtre. Souvenir d’une dernière rencontre.

L’architecture d’auteur en toute urbanité
par Francis Rambert
Disparu le 5 mars dernier à l’âge de 87 ans, Henri Gaudin, ce marin devenu architecte, était aussi peintre et écrivain. Enseignant charismatique, ardent défenseur d’une pensée contextuelle qui n’excluait pas l’exploration formelle, il avait l’art d’amener ses étudiants à s’intéresser plus que tout à l’esprit des choses. “N’est-ce pas cela l’espace, ce qui fait lien ?”, lançait-il.

Henri Gaudin, le dernier baroque romantique
par Anne Démians
Ancienne étudiante de son atelier à l’ENSA de Versailles, Anne Demians est devenue un temps son assistante à l’agence. Aujourd’hui elle se souvient de trois expériences marquantes où l’enjeu était de traduire les croquis d’Henri Gaudin en espaces constructibles.

Les mille écrins du travail
par Rémi Guinard
De Metropolis à Playtime en passant par le Germinal de Claude Berri, le cinéma a déjà bien exploré le monde du travail. Et si l’open space se prête particulièrement aux mouvements de caméra, il peut aussi servir de cadre à des comédies musicales. Quant à l’univers du chantier depuis Terre des pharaons jusqu’à Diamond Island, il est loin d’avoir été oublié par les réalisateurs de fiction, sans compter les documentaristes. Le 7e art suit ainsi à sa manière les mutations du travail, jusque dans les rangs de l’armée.
Cheminots, documentaire de Luc Joulé et Sébastien Jousse (Fr., 2010, 80 min). En DVD, Shellac films.
Office, de Johnnie To (Hong-Kong, 2015, 120 min). En DVD, Blu-ray (2D et 3D), Carlotta Films.
Il n’y aura plus de nuit, documentaire d’Éléonore Weber (Fr., 2020, 75 min).

Enseignement
Nouvelles territorialités du projet
par Djamel Klouche
Archiscopie poursuit son panorama de l’enseignement de l’architecture à l’heure des grandes transitions. Depuis le printemps 2019, dans chaque numéro nous donnons la parole à un enseignant, souvent chercheur et praticien. Il ne s’agit pas d’une parole institutionnelle mais d’un véritable point de vue personnel. Après Élodie Nourrigat, Mathieu Mercuriali, Jean Mas, Bita Azimi, Georges Heintz, et Florence Lipsky, c’est au tour de Djamel Klouche de nous livrer sa vision des choses. Cofondateur de l’AUC, enseignant à l’ENSA de Versailles, cet architecte très engagé dans l’urbanisme était à la tête de l’une des dix équipes internationales invitées à réfléchir à l’avenir du Grand Paris. Son projet donnera lieu à la publication de Grand Paris stimulé : de la métropole héritée aux situations parisiennes contemporaines (2009). Par la suite, il a travaillé sur de grandes opérations comme la transformation du quartier de la Part-Dieu à Lyon et, plus récemment, la requalification du quartier Chapelle international en lisière du boulevard périphérique parisien. Dans le paysage de nos villes contemporaines, il défend notamment l’idée d’une “écologie du désordre”.
 

 

LA BIBLIOGRAPHIE
 


 

Trimestriels parus