Archiscopie 32 - janvier-mars 2023

Éditorial

Du naturel à l’artificiel - Finies la débauche de lumière et autres consommations effrénées de lux. “C’est pas Versailles ici !”, dit la pub…

À l’heure de la transition énergétique devenue absolument prioritaire et de la sobriété qui en découle, la question de la lumière se pose avec encore plus d’acuité. Si la technologie led, moins consommatrice, permet sans doute de voir les choses un peu autrement, la pollution lumineuse empêche de regarder les étoiles. Quatre-vingts pour cent de la population mondiale vit sous un ciel éclairé. Émise par la substance urbaine des métropoles, cette clarté impacte la biodiversité et gêne les oiseaux migrateurs. Une fois de plus, l’étalement urbain est pointé du doigt.
À l’échelle de l’architecture, le sujet est autre. Entre l’antique Panthéon à Rome et l’église de béton de Tadao Ando à Ibaraki, tout le jeu est de faire entrer la lumière. Jeu savant, comme nous l’a rappelé Le Corbusier en son temps. Savants sont aussi les dispositifs mis au point au Texas par Louis Kahn au musée de Fort Worth et par Renzo Piano à la Menil Collection à Houston. Références indémodables. Et l’on n’oublie pas qu’après avoir étudié des variations lumineuses sur un projet de tour à Tokyo, Christian de Portzamparc en a finalement appliqué le principe sur l’ellipsoïdale Philharmonie Luxembourg. Inventer et réinventer toujours. En concevant, à Strasbourg, l’ensemble des Black Swans en termes de réversibilité, Anne Démians a également remis en question la hauteur sous plafond pour apporter plus de lumière dans les espaces intérieurs.
Entre chien et loup, dit la formule. C’est le moment important de la transition entre la lumière naturelle et la lumière artificielle. Interviennent alors les architectes, les designers et autres concepteurs lumière, sur les bâtiments comme sur l’espace public. Et tandis que les candélabres dessinés par Gaudí rythment magnifiquement le Paseo de Gracia à Barcelone, le grand lustre circulaire suspendu aux arbres à Olot, en Catalogne, par Un Parell d’Arquitectes révèle un lieu au bord de la rivière.
Dans ce domaine, les artistes ne sont pas en reste. À commencer par Magritte cultivant l’ambiguïté dans sa série “L’Empire des lumières”. Et l’émotion est forte lorsque les plasticiens se confrontent au pont du Gard comme James Turrell, ou à des œuvres contemporaines comme Olafur Eliasson, dont l’installation d’un grand soleil The Weather Project à la Tate Modern, en 2003, reste un monument. On apprécie particulièrement le travail de Yann Kersalé, dont la complicité avec les architectes n’est plus à démontrer et qui aime à proposer des relectures de sites, de la somptueuse voûte du Grand Palais au paysage industriel des docks de Saint-Nazaire.
On attend maintenant les contributions des artistes aux futures gares du réseau du Grand Paris Express, notamment Iván Navarro et Laurent Grasso qui vont s’inscrire dans des espaces piranésiens imaginés par Dominique Perrault ou par Périphériques. Faire entrer la lumière dans les sous-sols de la ville, c’est l’enjeu. Signaler la présence d’un équipement technique indispensable également. Ainsi à Vitry-sur-Seine, le lasso lumineux de Stéphane Thidet s’apprête à s’emparer d’un centre de maintenance monumental signé Marc Barani. Belle prise en perspective !
Francis Rambert

Parution le 16 mars

 

SOMMAIRE


LE THÈME

 

Les avatars de la lumière
par Olivier Namias
La lumière artificielle a annoncé en quelque sorte la ville moderne et l’a accompagnée jusque dans les souterrains. Elle a permis aussi à l’architecture de devenir “lumineuse”, non sans supports publicitaires. Et si les architectes ont mis au point de savants dispositifs dans les musées notamment, les artistes, cinétiques ou pas, se sont emparés de ce médium. Mais aujourd’hui, dans ce domaine également, le changement climatique amène à revoir les choses. La lumière suit-elle la fonction ou l’injonction d’éteindre? Analyse.

Rusticité, la lumière comme matière première
par Mathieu Mercuriali
Et si l’on considérait la lumière comme une ressource favorable à la sobriété ? Tandis que l’emploi de matériaux biosourcés se développe pour des raisons aussi bien écologiques que pragmatiques, on peut s’interroger sur la recherche apparente d’une esthétique rustique. L’époque se prête à ces approches low-tech, y compris dans la transformation des bâtiments. Exemples en Suisse et dans le Grand Est.

Lumière et paysage
par Jean-Pierre Le Dantec
Au-delà de la diffusion esthétique sur la matière, les paysagistes sont attendus aujourd’hui sur les questions environnementales inhérentes au développement urbain. Se pose alors la question de l’éclairage public dans les métropoles, dont la pollution lumineuse dérègle les écosystèmes animaux et végétaux. On note alors que la sobriété énergétique modifie le paysage nocturne.

Bibliothèques en clair-obscur
par Fabien Bellat
Qu’elle soit municipale, nationale ou universitaire, petite ou grande, la bibliothèque est le programme par excellence où la lumière est attendue pour le plaisir de la lecture et le confort de l’étude. Retour sur sept lieux en Europe et aux États-Unis où les architectes ont expérimenté des dispositifs devenus des références.

À la lumière de quatre jeunes parcours
par Gabriel Ehret
Établis entre Alpes et Massif central, ils sont tous architectes et lauréats des fameux Albums dits AJAP. Leurs points de vue sur les liens étroits entre lumière et architecture nous plongent dans la réalité de la pratique, qu’il s’agisse de réhabilitation ou de construction neuve.

L’esthétique du tout led
par Francis Rambert
À Lamotte-Beuvron, le trio de Freaks a transformé une ancienne imprimerie en centre de recherche et de développement pour le compte d’un industriel de la lumière. Un lieu de travail qui oscille entre outil et bâtiment “démonstrateur”.

En guerre et fasciné, Jean Baudrillard et la transparence
par Jean-Louis Violeau
Façades de verre, formes cristallines… Symbole des années 1980-1990, la “transparence”, qui a marqué le débat architectural avec la Fondation Cartier pour icône, est un concept qui interroge. Et tandis que Jean Baudrillard en a fait une analyse parfois très critique, Paul Virilio préférait parler de “trans-apparence”. Décryptage.

Disjoncté
par Philippe Trétiack
Et si la ville lumière s’éteignait d’un coup ? Ce scénario catastrophe, d’autres villes l’ont connu, et pas uniquement en temps de guerre. Interrogations sur une cité sans lux ni courant.

Nicolas Schöffer, de l’effet à l’effacement
par Jean-Philippe Hugron
La disparition. Certains auteurs se sont obstinés à faire disparaître des lettres de leur roman, entre toutes, le E. Certains artistes ont eu le malin plaisir de vouloir escamoter… l’architecture. Parmi eux, Nicolas Schöffer (1912-1992), artiste de la “cybernétique”, dont les projets remarquables, portés à une échelle monumentale, ambitionnaient l’effacement de la structure sous des effets de lumière.

Albert Laprade et les lumières
par Dominique Amouroux
L’électricité n’impose pas seulement des ouvrages d’art et de nouveaux types d’équipements dans les paysages naturels, comme en rend compte la fresque de Raoul Dufy La Fée Électricité en 1937. Elle favorise l’évolution de la relation entre ingénieurs et architectes, et modifie la conception même des édifices et de leurs espaces intérieurs. Sensible aux lumières naturelles, Albert Laprade s’empare de ce nouvel outil pour enrichir ses projets, qu’ils soient d’inspiration classique ou d’esprit moderne.

Habiter [avec] la lumière - Repères chronologiques, 1851-2022
par Christine Carboni
 

 

L’ENTRETIEN

 

YANN KERSALÉ
“La sobriété je suis archi pour !”
Propos recueillis par Francis Rambert
Il avait aussi commencé dans la musique en faisant les lumières pour Jacques Higelin, Alain Bashung, Diane Dufresne, etc. Son parcours d’artiste, qui débute en fait très tôt en Bretagne, l’a amené à beaucoup travailler avec des architectes, notamment Jean Nouvel, Helmut Jahn, Rudy Ricciotti, devenus ses complices dans l’acte de création dans diverses villes - Lyon, Marseille, Barcelone, Doha, Berlin… Oiseau de nuit, Yann Kersalé attend son heure pour révéler les lieux, comme à Saint-Nazaire en 1991 où, avec La Nuit des docks, il a mis en relief la ville-port et son patrimoine industriel. Et la mise en lumière de la voûte du Grand Palais, grande émotion esthétique au cœur de Paris en 1987, reste dans toutes les mémoires. “Architecte de la nuit” qui aime à métamorphoser les lieux, les faire “respirer” par la lumière, il s’attache à créer une “géopoétique du paysage” dans des contextes très différents. Aujourd’hui il ouvre, à Douarnenez, le fonds Lumière Yann Kersalé. Retour aux sources.

 

L’ESPACE CRITIQUE


Tendance
Ferme la porte !

par Richard Scoffier
“Ferme la porte !” En ces temps de grand froid et de crise énergétique, il est essentiel de séparer les espaces chauffés de ceux qui ne le sont pas : chez soi, au travail ou dans les lieux publics. Et les portes endormies se réveillent pour s’interposer face à la dilapidation de la chaleur et isoler, discriminer, condamner. Le retour hivernal de cet élément de l’architecture révèle aussi sa part d’ombre…

Quand Taiwan soigne ses icônes culturelles
par Francis Rambert
Trois villes, trois concepts fondamentalement différents pour des équipements culturels destinés au théâtre et à la musique. Espaces creusés ou espaces saillants ? Plaque ou boîte ? Autant d’enjeux urbains et de défis techniques inscrits dans des concours remportés par des agences d’architecture d’envergure internationale. Par ordre d’entrée en scène, Toyo Ito, Mecanoo et OMA ont à l’évidence été stimulés par la densité du programme.

Les nécessités silencieuses de l’architecture
par Sophie Trelcat
Avec ses façades courbes immatérielles et son assise triangulaire, le nouveau siège de l’AP-HP offre une relecture de son site d’accueil, l’hôpital Saint-Antoine, dans le 12e arrondissement de Paris. Pour laisser respirer les bâtiments, la moitié de la parcelle constructible est occupée par un jardin en forme de colline, sous lequel a trouvé place l’auditorium.

Florence Contenay, une grande ouverture d’esprit
par Gwenaël Querrien
Sa disparition, le 12 janvier dernier, à l’âge de 83 ans a beaucoup ému le milieu professionnel. Pleinement investie dans la cause de l’architecture et de l’urbanisme, Florence Contenay avait dirigé l’Ifa, de 1981 à 1988,  intégré depuis à la Cité de l’architecture et du patrimoine.

Dans le feu du chantier
par Rémi Guinard
Avec le chantier, il y a toujours matière pour le cinéma. Dans des genres différents, de la fable au documentaire, quatre films nourrissent le sujet à Marseille comme à Paris et sa périphérie. Parmi eux, la renaissance d’une cathédrale.
• Tant que le soleil frappe, de Philippe Petit (Fr., 2022, 85’).
• Grand Paris, de Martin Jauvat (Fr., 2022, 72’).
• Goutte d’Or, de Clément Cogitore (Fr., 2023, 98’).
• Notre-Dame de Paris, le chantier du siècle, documentaire en 3 épisodes de Vincent Amouroux (Fr., 2022, 3 x 52’).
Coprod. ZED, Arte, INRAP et EPRNDP, avec la participation de CNRS Image, Planète, NHK et de la Cité de l’architecture et du patrimoine.

 

 

LA BIBLIOGRAPHIE
 


 

Trimestriels parus