Archiscopie 17 - janvier 2019

Éditorial

La hauteur à la recherche d’auteurs - Depuis le modèle toscan de San Gimignano, et ses 72 maisons-tours du XIIe siècle, la ville verticale n’a cessé de stimuler l’imaginaire. Avec son “Highrise of Homes” en 1981, James Wines conçoit ainsi un objet-oxymore où s’imbriquent verticalité et horizontalité.

Le fondateur du groupe Site niche alors le “rêve américain” de la maison individuelle dans la trame d’un puissant bâtiment. Cette bibliothèque géante, où sont rassemblés tous les styles, n’a jamais vu le jour mais a trouvé à se loger dans les collections du MoMA. Trois ans plus tôt, Rem Koolhaas nous rappelait, dans Delirious New York, que “l’architecture de Manhattan est le paradigme de l’exploitation de la densité”. Depuis, l’OMA s’est confronté à maintes reprises à la ville verticale, du projet manifeste “Hyperbuilding”, imaginé pour Bangkok, au multi-block appelé De Rotterdam, qui a sérieusement dynamisé le skyline au bord de la Meuse.
Objet unique ou cluster ? Acte singulier ou concept pluriel ? C’est la question que pose d’emblée le sujet de la tour, riche en détracteurs. Si elle a donné lieu à des gestes exceptionnels, comme la Torre Pirelli de Gio Ponti à Milan, les Torres Blancas de Madrid par F. J. Sáenz de Oiza, ou la tour Hsbc à Hong Kong (où Norman Foster révolutionna l’espace de travail dans ce type de lieu), elle a également donné libre cours à de belles conversations à l’instar de celle qu’entretiennent, depuis une soixantaine d’années, les bâtiments de Ludwig Mies van der Rohe et de Gordon Bunshaft, de part et d’autre de Park Avenue à New York. Et s’il est vrai que l’on ne pourra jamais se consoler de l’effroyable disparition, dans un acte assassin, des Twins de Manhattan, ailleurs, les tours jumelles ont tendance à faire florès dans le monde, végétalisées ou pas. D’où un registre d’expression de plus en plus formel avec moult effets de torsion et autres mouvements (parfois fatigants). On a vu ainsi Steven Holl s’inspirer de La Danse de Matisse pour construire Linked Hybrid à Pékin, un ensemble de huit tours reliées en hauteur par des passerelles.
Dans ce débat sur la hauteur, Paris développe des tours “métropolitaines”, parallèlement à la transformation de la tour Montparnasse d’ici 2024 : après le nouveau Palais de Justice porte de Clichy, on attend les tours Duo de Jean Nouvel dans le laboratoire urbain du 13e arrondissement et la tour Triangle de Herzog & de Meuron sur le site de la porte de Versailles.
La tendance est au développement d’ensembles multifonctionnels, à l’image du gratte-ciel The Shard de Londres qui regroupe bureaux, commerces et logements dans une tour très effilée face à la forêt d’immeubles tertiaires de la City. À l’instar de Jean Dubuisson qui construisit une longue barre sur la gare Montparnasse, Renzo Piano a érigé son building sur une infrastructure de transports. De la barre à la tour, il n’y a qu’un mouvement de bascule dans la grande échelle. La ville verticale reste un scénario à (ré)écrire sans fin.

Francis Rambert

 

SOMMAIRE


LE THÈME

Le vertige de la ville verticale
par Philippe Trétiack
Des forêts de tours, plus ou moins denses, forment le skyline des villes en pleine croissance, de New York hier avec ses gratte-ciel iconiques à Shanghai aujourd’hui où l’on dénombre plus de 725 buildings. Et tandis que les records tombent (le dernier à Dubaï avec 830 m), la typologie a tendance à se végétaliser de Milan à Toulouse. Dans cet univers éminemment fictionnel, tour des questions que soulève la hauteur.

Dans l’utopie de la ville métaboliste
par Benoît Jacquet
De courte durée, le mouvement métaboliste, au Japon, a propulsé les architectes entre 1960 et 1970 dans une autre échelle de pensée. Nombre d’études et de réflexions sur la ville du futur sont restées à l’état de projet mais sont devenues des icônes de la prospective ; parmi celles-ci, la ville flottante pour cinq millions d’habitants imaginée par Kenzo Tange dans la baie de Tokyo. Pas de ville verticale possible sans puissantes mégastructures.

La woodmania prend de la hauteur
par Sophie Trelcat
Des tours en bois, non seulement c’est possible mais cela se développe de par le monde. Si la plus haute culmine aujourd’hui en Norvège, d’autres s’annoncent en France, à Paris comme à Bordeaux ou Angers. Convaincre les pompiers est l’un des défis que doivent notamment relever les architectes.

Tour d’horizon lyonnais
par Gabriel Ehret
Depuis la tour “Crayon”, icône des années 1970 érigée au cœur du quartier de La Part-Dieu alors flambant neuf, la silhouette de la métropole de Lyon a gagné en émergences. Perrault, Nouvel, Portzamparc, Herzog & de Meuron figurent parmi les architectes qui contribuent à renouveler le paysage.

Dans la couleur
par Richard Scoffier
Que penser de cette tour sur le port de Marseille, somme toute assez banale ? Ancrée dans le sol et changeant en fonction de la lumière, elle semble comme engendrée par les frottements du ciel et de la terre… Pas de réel tour de force constructif ni d’innovation programmatique : qu’apporte de nouveau cette Marseillaise de Jean Nouvel sur la manière d’habiter la verticalité ?

Et si la tour du futur était horizontale ?
Par Mathieu Mercuriali
De la mégastructure au méta-îlot il n’y a qu’un pas, dès lors qu’on entre dans le débat sur la densification de la ville. Et le modèle horizontal, dans lequel s’inscrivent aussi les campus tertiaires et les “grandes boîtes” logistiques, semble ouvrir une tendance alternative aux gratte-ciel qui, eux, appartiendraient à l’histoire du XXe siècle.

Les Twins de Stockholm
par Francis Rambert
Dans le nord de la capitale suédoise, l’OMA revisite le brutalisme pour installer des logements haut de gamme dans les tours de l’opération Norra Tornen. Inversion des codes et éloge de la préfabrication à tous les étages.

Verticalité versus densité
par Dominique Amouroux
Dessinées par Roger Anger et Pierre Puccinelli, les trois tours de l’Île-Verte à Grenoble ont participé en leur temps à la dynamique des Jeux olympiques d’hiver de 1968, tout en imprimant un mouvement cinétique à la ville. Une trilogie architecturale et urbanistique qui a gardé toute sa force au pied des montagnes.

La ville verticale depuis 1857 - Réalités, fictions, critiques
Chronologie par Christine Carboni
 

 

L'ENTRETIEN

 

FINN GEIPEL
Comment fabriquer des projets innovants ?
Propos recueillis par Francis Rambert
Architecte et urbaniste, il fut, avec son agence LIN, parmi les équipes invitées à participer à la consultation internationale du Grand Pari(s) en 2008. Dans cette large réflexion prospective, il proposait le concept de “ville légère”, accompagné de celui de “mobilité graduée”. Aujourd’hui, Finn Geipel travaille sur des territoires métropolitains en France comme en Allemagne et intervient sur des cités des années 1960-1970, à l’exemple d’un projet transgénérationnel à Brême. On attend maintenant la construction de sa première tour de logements à Berlin, fruit d’un concours portant sur l’habitat en hauteur, un projet qui repose autant sur l’idée de flexibilité que sur une nouvelle façon de construire.

 

L'ESPACE CRITIQUE


Tendance
Attention balcons !

par Richard Scoffier
Qu’en est-il du balcon ? Cet espace qui vient en supplément de la surface habitable et qui, pour reprendre le discours de Jacques Derrida, en s’additionnant à une unité déjà constituée, met cette dernière en crise.

De part et d’autre du périphérique
par Sophie Trelcat
Le site de la Cité universitaire à Paris est fortement marqué par l’architecture, de Le Corbusier à Claude Parent en passant par Dudok. Des décennies
plus tard, AAVP et Bruther se sont prêtés à l’exercice dans un face-à-face clivant. À programme égal, concept et écriture fondamentalement différents.

Roland Schweitzer : une leçon d’architecture durable
par Amandine Diener
Né en 1925, Roland Schweitzer s’est éteint en août dernier à l’âge de 92 ans. Son œuvre, singulière, est teintée d’influences plurielles conciliant
le double registre du vernaculaire et de la modernité. Observateur averti de la production architecturale contemporaine et soucieux de transmettre
un savoir acquis grâce à une curiosité sans cesse renouvelée, Schweitzer s’est fortement impliqué dans la formation des architectes. Retour sur un parcours remarquable.

Yannis Tsiomis, toujours sur le front de la ville
par Jean-Louis Cohen
Son dernier livre, Athènes à soi-même étrangère, paru en 2017, était consacré à sa ville natale qu’il avait dû fuir pendant la Dictature des colonels. Né en 1944, Yannis Tsiomis s’est éteint à Paris, sa ville refuge, le 18 octobre dernier. Architecte, enseignant, il était un tenant du projet urbain.

L’architecture pour bagage : migrations d’architectes et transferts culturels
par Guy Lambert
Personnage mobile depuis la Renaissance, l’architecte n’hésite pas à migrer en fonction de la commande ou de l’attrait d’un mentor. D’où les influences que l’on peut noter ici ou là dans l’espace européen. Deux ouvrages récents s’intéressent à ces trajectoires inattendues, parfois déviées, une opportunité pour explorer les processus d’hybridation autant que les situations transfrontalières.
• Olga Medvedkova (dir.), Les Européens : ces architectes qui ont bâti l’Europe (1450-1950), coll. Pour une histoire nouvelle de l’Europe, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2017.
• Marie Gaimard, Caroline Maniaque (dir.), “Exils et migrations des architectes, des urbanistes, des paysagistes à l’ère contemporaine”, Les Cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère, n° 2, 2018.

La voie est livre
par Jean-Pierre Le Dantec
La voirie ne serait-elle qu’une affaire d’ingénierie ? Non, répond l’architecte-enseignant Éric Alonzo dans son livre, en démontrant que ce type d’infrastructure est un sujet d’architecture. Mais très vite, le paysage s’invite dans le débat. Un livre de référence.

Lorsque confessionnel rime avec exceptionnel
par Rémi Guinard
Depuis des siècles, l’art sacré produit des monuments et des lieux marquants, autant de repères dans l’espace urbain. Une série de quatre documentaires diffusée par Arte balaye le spectre de ce domaine hautement patrimonial.

 

LA BIBLIOGRAPHIE
 


 

Trimestriels parus