Éditorial
L’espace public, lieu de tous les possibles ? - Dans la fabrique de la ville, il tient une place majeure. Projet de société autant que projet urbain, l’espace public, dont la notion est aussi bien politique que physique, est quelque peu fragilisé dans le monde contemporain, privatisé de plus en plus, menacé par le terrorisme, touché par le surtourisme…
Qu’en est-il dès lors des valeurs de l’espace public ? Si l’on s’en tient à la dimension physique, pas besoin de soumettre la question à l’IA, il suffit de regarder la toile de Gustave Caillebotte Rue de Paris, temps de pluie, tant elle respire l’urbanité en 1877. Depuis Haussmann, certes, l’espace public a beaucoup évolué et son concept a été revisité par les architectes au cours du XXe siècle. Icône de la transformation d’un monument, le palais de Chaillot, qui abrite notamment la Cité de l’architecture et du patrimoine, est aussi un modèle d’espace public. La grande force du projet de 1937 est d’avoir intégré dans sa composition une esplanade qui établit une continuité entre la place du Trocadéro et le Champ-de-Mars. Bien plus qu’une plateforme à selfies devant la tour Eiffel, c’est une ouverture sur la ville.
De grands projets issus de concours internationaux à Paris, comme le Centre Pompidou en 1971, le parc de la Villette en 1982 et la Bibliothèque nationale en 1989, ont depuis redonné un souffle en soulignant la dimension cruciale de l’espace public. Aujourd’hui, le patrimoine n’est pas en reste, des hauts lieux comme les abords de Notre-Dame ou la place de la Concorde amorcent leur mutation et se végétalisent.
Nul doute que l’espace public conditionne la vie dans la ville. Il y va de la démocratie et du vivre-ensemble. Qu’on soit habitant, passant ou manifestant, on a besoin de ce type d’espace qu’on ne saurait résumer en une seule forme tant il se décline dans une variété de typologies.
C’est le lieu où la question spatiale croise la question sociale au coeur du paysage urbain - et l’un des enjeux de la consultation internationale “Quartiers de demain” lancée en juin 2023 par le président de la République sur dix sites prioritaires de la politique de la Ville.
Mais à quoi aspire le citadin dans le contexte du réchauffement climatique ? Si le paradigme a changé avec la transition écologique, l’adaptation aux modes de vie s’impose. De là à penser que l’espace public pourrait être le lieu de tous les possibles… Sa conception et son potentiel sont au coeur des réflexions sur la ville résiliente. Les architectes, les urbanistes, les paysagistes y travaillent, récupérant ici des friches, revitalisant là des emprises, renaturant ailleurs des territoires. Si le parc Martin-Luther-King en est un bon exemple à Paris, la High Line à New York, le parc Superkilen à Copenhague ou bien le pont Simone-Veil à Bordeaux ont ouvert d’autres voies encore. Et la mutation du Vieux-Port de Marseille, qui a notamment redonné bien plus d’espace au piéton, confirme la tendance. Plus que jamais, l’espace public doit s’ouvrir aux usages et s’adapter au climat.