Archiscopie 37 - juillet 2024

Éditorial

Mettre la ville dans la dynamique - On connaît le vif intérêt de certains architectes pour le sport : Charlotte Perriand le ski, Luis Barragán l’équitation, Tadao Ando la boxe, Frank Gehry le hockey sur glace, Renzo Piano la voile, Henri Ciriani le foot, Alain Sarfati l’escrime, Frédéric Borel le marathon, Arnaud Bouet le waterpolo, Dimitri Roussel le basket, Isabel Hérault la danse, Alicia Orsini le trail… sans oublier Jacques Rougerie, le plongeur devenu “mérien”, ni Ricciotti qui, détournant la célèbre phrase de Bourdieu, a proclamé : “L’architecture est un sport de combat.”

Changeons d’échelle. En accueillant à Paris les Jeux olympiques et paralympiques en cet été 2024, la France crée le spectacle en ville. L’escrime sous la belle voûte de verre du Grand Palais, l’équitation dans le magnifique cadre du parc de Versailles, le tennis sur le site mythique de Roland-Garros… Depuis l’Antiquité, l’architecture et le sport ont tissé des liens très forts. Le XXe siècle a repris le flambeau en magnifiant les structures des stades accueillant les Jeux olympiques, remis au goût du jour par Pierre de Coubertin : Pier Luigi Nervi à Rome, Kenzo Tange à Tokyo, Frei Otto à Munich, Roger Taillibert à Montréal, Herzog & de Meuron à Pékin. Mais au-delà de ces icônes de l’architecture, il faut souligner l’opportunité de transformer la ville, à l’instar de Barcelone en 1992.
Le village olympique est avant tout un morceau de ville. De l’éphémère au jour d’après, le modèle urbain est à chaque fois revisité. Il ne s’agit plus alors de cohabiter entre athlètes mais de “faire ville” durablement. L’olympische Dorf, conçu par Günter Behnisch pour les JO de 1972 à Munich, est une référence mondiale qui a traversé le temps. Aux portes de Paris, c’est une tout autre conception qui a guidé l’urbanisme selon la pensée de Dominique Perrault. Nous sommes là dans la ville résiliente, avec l’émergence d’un quartier métropolitain dans un territoire entre Seine et infrastructures qui ne demandait qu’à être requalifié. L’aventure est relatée dans Un village et son double, livre publié cet été chez Actar.
Passé les Jeux, la ville comme terrain d’expérimentation de concepts et autres nouvelles typologies va reprendre ses droits. Aux Pays-Bas, NL Architects avait relancé le débat en 2003 avec le Basket Bar à Utrecht, puis sous l’autoroute à Koog aan de Zaan où l’on peut pratiquer notamment le kayak. Puis au Danemark, Bjarke Ingels et Julien De Smedt ont dynamisé Copenhague avec des installations nautiques en cœur de ville. Et, plus récemment, on a vu Dream installer la pratique du foot à cinq sous le périphérique parisien et NP2F construire une “cathédrale des sports” dans le quartier de Brazza à Bordeaux… Autant d’exemples qui confirment l’importance de faciliter l’accès au sport. Ces réalisations, comme l’active design, contribuent à inciter au mouvement pour notre santé. Le rapport au corps implique plus que jamais l’espace. C’est une question d’architecture et d’urbanisme.
Francis Rambert

Parution le 16 juillet

 

SOMMAIRE


LE THÈME

 

Culture physique à toutes les échelles
par Sophie Trelcat
Le sport est une culture, la ville en est une autre. C’est au croisement des deux que les pratiques sportives trouvent leur espace, parfois de manière inédite. En marge des Jeux olympiques, c’est aussi dans les interstices de la métropole que des territoires s’ouvrent à l’exercice des disciplines et que la substance urbaine nourrit le quotidien de ceux qui veulent se bouger.

Des villages aux destins contrastés et contrariés
par Gilles Davoine
Le concept de village olympique n’est pas né lors des Jeux d’Athènes en 1896. Ni même à Paris pendant les deuxièmes Jeux dans la capitale, où les athlètes sont logés dans des baraquements. Il faut attendre 1932 pour qu’un village prenne forme lors des JO de Los Angeles. De Rome à Munich en passant par Barcelone ou Grenoble, l’architecture participe à la fête en pensant au jour d’après. Retour sur les lieux.

Parc des Princes, Charléty : deux stades, deux visions
par Christine Desmoulins
Le stade du Parc des Princes et le stade Charléty ont marqué l’urbanisme parisien. Entre l’inauguration du premier, oeuvre de Roger Taillibert, en 1972, et celle du second, cosigné par Henri et Bruno Gaudin en 1994, l’image de la ville a changé, comme la façon d’y inscrire de grands équipements publics. Stade isolé ou arène insérée, ces deux conceptions correspondent aux pratiques sportives.

L’esthétique de la technique
par Jean-François Pousse
Rétractable en douceur, la nouvelle couverture textile du court Suzanne-Lenglen à Roland-Garros vient transformer l’arène de béton des années 1990. Son concept, basé sur 21 modules de membrane PTFE, est inspiré de la jupe plissée de la championne de la terre battue.

Quand le sport active les mutations urbaines
par Ivan Blasi
À la lumière des projets réalisés à Bilbao, en marge du musée Guggenheim, ou à Barcelone, ville hôte des Jeux olympiques de 1992, on voit comment le sport peut dynamiser les villes en Espagne. Et s’il contribue à certains rééquilibrages démographiques, son impact indéniable participe également à une certaine “monumentalisation” des périphéries.

Privé versus public
par Gabriel Ehret
L’arène lyonnaise est révélatrice de l’investissement dans les sports les plus populaires d’acteurs privés qui constituent dans la ville de véritables pôles, dont le volet loisirs accroît la rentabilité. Les collectivités n’en continuent pas moins de créer des équipements et de stimuler, aux portes de l’agglomération, les sports d’eau à la faveur du Rhône.

Vies et vicissitudes des piscines
par Franck Delorme
La conservation du bâti, qui concerne tous les programmes, et son adaptation à de nouveaux usages font désormais partie de la création architecturale. Les architectures sportives n’échappent ni aux considérations financières ni aux enjeux de durabilité afférents, en particulier les piscines, dont la perception et donc le destin varient en fonction de leur période de construction.

De l’hippodrome à l’arena
par Jean-Pierre Le Dantec
Depuis l’Antiquité, les temples du sport ont trouvé leur place dans la ville. Du stade à l’arène contemporaine, l’enceinte n’est pas un monument comme les autres. Lieu de célébration, de performance et de spectacle, elle cherche aujourd’hui un deuxième souffle dans une dimension environnementale.

Playscapes, la disparition d’un “quatrième mur”
par Baptiste Boleis
Au-delà des arènes sportives, le sport se pratique dans toute sa diversité au sein de l’espace public qui est, en même temps qu’un terrain d’exercice, un lieu du spectacle social. Les territoires de la métropole du Grand Paris, avec ses 12 millions d’habitants, s’y prêteraient bien grâce au design actif.

Sport au cinéma : de l’enceinte au terrain d’entente
par Joachim Lepastier
Corps burlesques ou affûtés, les sportifs de cinéma n’attendent pas leur entrée dans l’arène pour dessiner par leurs mouvements de nouvelles scénographies et redéfinir ainsi leur propre environnement. En contrechamp, les spectateurs et spectatrices doivent parfois ruser pour trouver leur place dans des enceintes pas toujours accueillantes. Dans un sens comme dans l’autre, il s’agit de pousser les rituels sportifs jusqu’à leurs limites et de les faire résonner avec leur contexte historique et social.

Le sport, de la pratique à la célébration - Repères chronologiques, 1913-2024
par Christine Carboni


 

L’ENTRETIEN

 

Lina Ghotmeh
“Il s’agit d’utiliser les bons matériaux que le contexte permet de trouver”
Propos recueillis par Francis Rambert
Reconnue sur la scène internationale, Lina Ghotmeh, née au Liban, commence son parcours atypique à l’agence de Jean Nouvel. À 25 ans, elle gagne un concours international en Estonie, pour façonner l’identité d’un musée national - un projet qui fait corps avec un ancien aéroport militaire. Et lorsqu’elle doit construire une tour de logements dans la zone portuaire de Beyrouth, elle s’ingénie à intégrer une dose vernaculaire dans un bâtiment sculptural en béton. Elle est ensuite invitée à concevoir une architecture éphémère : le pavillon de la Serpentine Gallery, tout en bois, dans les jardins de Kensington à Londres. Parallèlement, elle a réalisé des ateliers en brique pour la maison Hermès à Louviers. En attendant de savoir si son projet autour de “l’alimentation durable” se réalisera un jour à Paris, elle vient de livrer deux bâtiments dans le village olympique à Saint-Denis et achève un petit projet de résidences pour artistes pour la fondation Kadist dans le Marais. Et tandis que le Bahreïn lui a confié la réalisation de son pavillon à la prochaine Exposition universelle, à Osaka en 2025, elle travaille sur un musée lié à une oasis agricole en Arabie saoudite. Entre écologie et relation à la nature, la question de la matière se pose.

 

 

L’ESPACE CRITIQUE


Tendance
Pathologies critiques
par Richard Scoffier
Oublions le té, l’équerre, l’intelligence artificielle et le BIM : le délire peut être un outil très efficace pour concevoir des projets. Mais à condition de le soumettre à des protocoles élaborés permettant de canaliser et de distiller cette force brute et obscure…

Une vrille dans la grille de Perret
par Francis Rambert
Au Havre, l’émergence d’une nouvelle tour en lisière du périmètre Unesco a semé l’émoi, tout en créant une véritable dynamique. Conçu par Hamonic + Masson, cet édifice de 55 mètres de hauteur, qui donne à voir toute la ville-port, est dédié au logement. Sculpture habitée, Alta se veut un repère.

Le non-bunker
par Philippe Trétiack
Le nouveau musée du Débarquement, conçu par l’agence Projectiles en bord de plage à Arromanches-les-Bains, dévoile in situ le brio d’un génie militaire flottant et éphémère. Loin du monolithe, le bâtiment s’ouvre sur la mer.

Amouroux, véritable amoureux de l’architecture
par Francis Rambert
Disparu le 19 mars dernier, à l’âge de 75 ans, l’historien Dominique Amouroux aimait depuis toujours à explorer l’architecture dans les territoires. Lui qui a partagé sa vie en trois temps - Paris, Nantes, puis Annecy - était l’une des plumes d’Archiscopie. Souvenir d’un passeur.

Plâtre et ciment, la matière comme signe des temps ?
par Guy Lambert
Les matériaux sont-ils le miroir des sociétés qui les produisent ? Les livres d’Alain Corbin et d’Armelle Choplin, qui observent le plâtre et le ciment respectivement dans le Paris du premier XIXe siècle et en Afrique de l’Ouest aujourd’hui, le suggèrent en analysant les mondes qui les mettent en œuvre ainsi que l’imaginaire dont ils sont porteurs.
Alain Corbin, Fragilitas. Le plâtre et l’histoire de France, Paris, Plon, 2023, 132 p.
Armelle Choplin, Matière grise de l’urbain. La vie du ciment en Afrique, Genève, MétisPresses, 2020, 252 p.
 

 

LA BIBLIOGRAPHIE
 


 

Trimestriels parus