Archiscopie 18 - avril 2019

Éditorial

La transformation à l’honneur - Où se niche l’excellence ? La question se repose à chaque fois.

Vingt-deux ans après la BNF de Dominique Perrault, c’est une œuvre conçue par des architectes français qui a remporté le prix Mies van der Rohe, si attendu tous les deux ans. Le travail de Lacaton & Vassal, Frédéric Druot et Christophe Hutin sur un grand ensemble de logements des années 1960 à Bordeaux se voit ainsi distingué, en 2019, par ce prix de l’Union européenne pour l’architecture contemporaine.
Cette forme d’excellence française, forgée dans une pensée de l’économie de moyens pour un maximum d’espace, a émergé alors que l’architecture-objet, avec sa culture de l’icône incarnée par le Guggenheim de Bilbao, alimente le Web tous les jours, sans faiblir. Dans cette opération dite du Grand-Parc, il ne faut pas oublier de saluer le maître d’ouvrage, Aquitanis, qui a porté ce projet très important, non tant par la taille (530 logements) que par l’enjeu social et urbain.
La tonalité du prix Mies van der Rohe est également intéressante au regard de notre époque car c’est la deuxième fois, et coup sur coup, que celui-ci vient récompenser une démarche de transformation à grande échelle ; en 2017, c’était le projet Kleiburg (une barre articulée de 400 m de longueur avec 500 logements), réalisé à Amsterdam par NL Architects + XVW, qui avait été mis sous les projecteurs européens. Même masse critique, même enjeu, seule la stratégie architecturale change.
On imagine que, pour des architectes formés à l’“école” Jacques Hondelatte à Bordeaux, ce prix a une résonance particulière. Témoignage de la reconnaissance de leur démarche, cela faisait une vingtaine d’années que Lacaton & Vassal avaient été repérés par le radar du prix Mies. Ainsi ont-ils figuré dans le palmarès à plusieurs reprises depuis 1992, avec un bâtiment universitaire à Grenoble et les logements sociaux de la cité Manifeste à Mulhouse notamment, jusqu’à disputer une finale pour la métamorphose du Palais de Tokyo en 2003. Mais cette fois-là, le jury leur avait préféré Zaha Hadid pour la gare intermodale et sculpturale de Strasbourg. Leur travail exemplaire (toujours avec Frédéric Druot, co-auteur de la théorie de “plus” en 2003) pour la transformation de la tour Bois-le-Prêtre à Paris était l’une des réalisations majeures du panorama européen en 2013. La même année, ce projet emblématique de la question de la mutation du patrimoine moderne avait, à lui seul, fait l’objet d’une exposition au Deutsches Architekturmuseum de Francfort, autre signe.

Francis Rambert

 

SOMMAIRE


LE THÈME

La ville productive, espoir d’un futur urbain
par Olivier Namias
Et si la ville renouait avec l’idée de production ? Autre chose que celle des gaz à effet de serre ? Et si les métropoles intégraient cette notion à caractère économique dans une conception d’environnement durable ? À l’heure des fablabs et des imprimantes 3D, la pensée s’oriente vers les circuits courts, le recyclable et le biodégradable. Les images d’une ville mixte unissant dans un même espace urbain agriculture, industrie et habitat envahissent alors nos écrans. Mais quelles seraient les typologies de ces nouvelles  manufactures” ? Entre promesses et limites, analyse de ce qui prend la forme d’un nouveau paradigme urbain.

Produire aussi des idées
par Philippe Trétiack
Dans son processus de mutation permanente, la ville moderne expérimente à différentes échelles. À l’heure des clusters, du coworking et des incubateurs, c’est une organisation nouvelle qui s’impose et bouscule la typologie des lieux de travail et de réflexion. Là où la pensée se forme, la ville doit être repensée.

Dans la logique de la logistique
par Achille Bourdon et Damien Antoni
On assiste à un retour de la logistique en ville. Les bâtiments dédiés aux activités de production, qui renvoient également à la transformation, à la distribution et au recyclage, représentent une part importante des mises en chantier chaque année. Soit un impact considérable sur le paysage urbain. Deux projets “démonstrateurs” conçus par l’atelier Syvil tentent d’injecter la notion d’écologie dans ce processus.

Relancer le moteur de la ville
par Vincent Lavergne et Elisa Peillard
L’exemple de Detroit aux États-Unis peut s’envisager comme une réelle étape de décroissance et s’imposer comme l’axe majeur d’un nouveau paradigme urbain. “Reanimate the ruins”, tel était le sujet du concours lancé en 2014 pour sortir de la déprime. Le projet lauréat “Cross the plant”, conçu par une équipe française, propose alors la transformation en centre urbain de l’ancienne usine de production d’automobiles Packard, désaffectée depuis 1987. La stratégie est de mettre en place un processus social et économique afin de recréer “un morceau de ville” actif et attractif.

Le coffre-fort qui déverrouille La Courneuve
par Christine Desmoulins
Nouvelle dynamique pour la Banque de France qui, à La Courneuve, vient de construire le deuxième plus grand centre fiduciaire d’Europe. Altier et hautement sécurisé, l’immense coffre-fort de 27 mètres de hauteur, signé Jean-Paul Viguier, se frotte à l’A86 et fédère la métamorphose de la friche industrielle Babcock. L’élan ainsi donné au développement d’un quartier mixte au sein du Grand Paris ouvre l’ère nouvelle d’un territoire qui fut jadis une grande plaine maraîchère.

Stalingrad, la cité hyper-productive
par Fabien Bellat
Port fluvial sur la Volga, Tsaritsyne, renommé Stalingrad en 1925, est devenu un pôle industriel à la faveur de la montée en puissance de l’URSS, avec pour moteur la plus grande usine de tracteurs au monde. L’essor industriel s’est accompagné d’un développement urbain à l’échelle de l’ambition de la ville. Il s’agissait alors de loger les ouvriers engagés dans cette grande mutation.

La ville productive : une chronologie
par Christine Carboni

 

L'ENTRETIEN

 

MARC MIMRAM
“L’immatériel nous rapproche du monde réel”
Propos recueillis par Francis Rambert
Qu’il s’agisse d’un paysage fluvial ou ferroviaire, l’architecte-ingénieur s’attache à concevoir l’ouvrage d’art comme un parcours. L’espace public prend alors le pas sur la performance technique dans tous ces exercices de franchissement. De la passerelle Solférino à Paris au futur ouvrage d’art de Pleyel à Saint-Denis en passant par le pont Hassan-II à Rabat, au Maroc, qui lui vaudra le prix Aga Khan d’architecture en 2013, c’est toute une conception humaniste qui s’applique à ces lieux clés des métropoles contemporaines. À Paris, Marc Mimram a relevé un autre type de défi : créer le nouveau court central du stade de tennis Roland-Garros dans un site sensible, marqué par les serres de Formigé.

 

L'ESPACE CRITIQUE


Tendance
Dans quelle chambre es-tu ?

par Richard Scoffier
La chambre, cet élément a priori secondaire dans le plan d’une habitation classique, a pris de l’importance et est devenue dans certains programmes la pièce essentielle autour de laquelle les autres espaces s’organisent.

Auteuil, par exemple
par Jean-François Pousse
Six hectares, deux maîtres d’ouvrage, quatre architectes, un paysagiste et une seule entreprise, voici la combinaison gagnante pour Auteuil. Un ensemble de 370 logements, sociaux et privés de haute qualité, réalisés sous le contrôle d’Anne Démians, mandataire de l’opération. L’exposition “Éloge de la méthode” présentée à la Cité de l’architecture & du patrimoine jusqu’en septembre rend hommage à ce travail d’équipe basé sur l’idée de mutualisation.

L’existant comme “matière poétique”
par Bénédicte Chaljub
Qu’il s’agisse de reconvertir deux halles des frères Perret ou de restructurer un théâtre des années 1970, la transformation fait projet. Dans cet exercice, Pierre Hebbelinck fait preuve d’une forme de subtilité doublée d’un sens de la pédagogie. En témoignent le pôle culturel de Montataire et l’Espace des arts de Chalon-sur-Saône, deux ouvrages où le béton impose sa logique.

Séville, l’hôpital sans vie
par Francis Rambert
Construit sur les friches de l’Exposition universelle de 1992, l’hôpital privé de la Cartuja est aujourd’hui, situation bizarre, désespérément vide depuis quatre ans. L’œuvre des architectes espagnols Mgm, qui a été reconnue par un prix dès sa livraison, cherche un nouvel utilisateur.

Lequeu, singulier pluriel
par Guy Lambert
L’exposition consacrée au grand architecte-dessinateur néoclassique, au Petit Palais à Paris, aura permis de redécouvrir la virtuosité de son œuvre graphique. Les ouvrages parus à cette occasion apportent un éclairage nouveau sur une figure de l’histoire de l’architecture encore entourée de nos jours d’un voile de mystère que les études avaient contribué à épaissir plutôt qu’à lever.
• Laurent Baridon, Jean-Philippe Garric, Martial Guédron (dir.), Jean-Jacques Lequeu. Bâtisseur de fantasmes, Petit Palais / Norma / BnF, 2018.
• Elisa Boeri, Jean-Jacques Lequeu. Un atlas des mémoires, Les Cendres, 2018.
• Philippe Duboÿ, Jean Jacques Lequeu. Dessinateur en architecture, Gallimard, 2018.
• Laurent Baridon, Jean-Philippe Garric, Martial Guédron, Lexique Lequeu, B2, 2018.

Ville avec personnages versus ville-personnage ?
par Rémi Guinard
Quel que soit le contexte, celui de la ville générique version ibérique, celui de l’espace urbain fracassé de la Ghouta en Syrie, ou celui de la traversée de la cité mythique de Jérusalem, la ville est le sujet inépuisable du septième art, voire son personnage principal.

Enseignement
Former dans un avenir incertain
par Élodie Nourrigat
L’enseignement de l’architecture s’est engagé en 2018 dans une nouvelle réforme qui porte cette fois sur la question statutaire.
Il s’agit d’un double changement de statut, celui des établissements et celui des enseignants. Pour les établissements, l’objectif est d’en faire des structures plus adaptées en leur donnant des outils spécifiques de nature à renforcer les trois points fondamentaux que sont la discipline, les métiers et la recherche. Pour accompagner cette transformation en profondeur, le mode de gouvernance a changé. Le nouveau Conseil pédagogique et scientifique (CPS, qui remplace la CPR - Commission de la pédagogie et de la recherche) est constitué de membres élus et se trouve en situation de totale indépendance par rapport au conseil d’administration de l’école.
S’agissant des enseignants, dont le pouvoir est ainsi renforcé au sein des écoles, ils sont désormais tous reconnus comme “enseignants-chercheurs”, qu’ils soient uniquement professeurs ou également praticiens dans leur agence. Cette dimension “recherche” vise à donner des moyens académiques et professionnels et à développer la recherche expérimentale.
En attendant l’évaluation qu’il faudra faire d’ici quelque temps,
Archiscopie ouvre une nouvelle rubrique dans le but d’analyser les évolutions à travers une série de démarches pédagogiques à l’œuvre dans différentes écoles. Quel enseignement prodiguer à l’heure des grandes transitions ?
Chaque numéro invitera ainsi un enseignant à se positionner par rapport à cette question en nous expliquant sa manière de transmettre. Élodie Nourrigat, architecte, docteur en architecture, professeur TPCAU à l’ENSA de Montpellier, nous livre un premier texte pour nourrir la réflexion.

 

LA BIBLIOGRAPHIE
 


 

Trimestriels parus