N°46 - janvier 2005

Les débats autour des Halles

Le choix du projet urbain de David Mangin pour les Halles(1) est celui de la continuité plutôt que de la rupture.

Les prises de positions passionnées2 que l’on a vues fleurir dans la dernière ligne droite précédant l’annonce du lauréat, ont eu le mérite de ressusciter un débat de doctrine fondamental3. Au-delà des réponses techniques à une question complexe en termes d’usages et de sécurité, la dimension symboliquedu projet urbain est essentielle. Le choix se serait joué au final entre la proposition de Rem Koolhaas, affichant une modernité a-contextuelle pour “animer” un espace public qui aurait pu être n’importe où à Paris, ou ailleurs4, et celle de l’outsider français qui s’ancre dans la complexité de la ville sédimentaire, dans le continuum urbain. Koolhaas se positionne par opposition : quand le bâti alentour procède par alignements en bordure d’îlots, il propose des plots implantés de façon apparemment aléatoire ; quand la tradition du jardin “à la française” évoque symétrie, régularité et tracés rectilignes, il suggère un semis de cercles à rayons variables. Cette attitude adolescente peut paraître rafraîchissante, voire innovante (?) pour certains, mais elle isole en fait le projet sur son terrain ; et l’expérience conduite à Euralille par ce fin analyste de la “ville générique” donne à réfléchir... Si, sur le long temps, les “mutations” génèrent l’évolution du monde autant que l’inverse, la pratique du contraste systématique est aussi convenue que le manque d’esprit critique. La culture procède plutôt par sédimentation que par amnésie, la perte de mémoire appauvrissant les relations, humaines ou spatiales. Chaque génération ré-élabore son système de conventions par un processus critique intégrant ruptures et continuités (modèles culturels, savoir-faire techniques, etc.). Reste aujourd’hui que, si les principes du projet urbain de Mangin sont retenus à l’issue de la procédure du marché de définition5, Bertrand Delanoë a annoncé dans la foulée le lancement d’un concours international d’architecture pour la réalisation du “carreau” qui devra être “une œuvre d’art du XXIe siècle”. On voit ainsi que le lauréat, jugé sans doute trop peu médiatique par ses commanditaires, est en fait convié, pour l’étape suivante, à passer de la maîtrise d’œuvre à la maîtrise d’ouvrage aux côtés de la Ville, tandis que de grandes signatures de l’architecture internationale seront invitées à concevoir cet édifice emblématique. On espère que la Ville, qui a affirmé son entière adhésion au projet urbain retenu devant une salle de presse archicomble, veillera à ne pas se contredire dans la suite des opérations, en sollicitant des personnalités susceptibles de développer ce parti plutôt que de le casser (à suivre).
Gwenaël Querrien

1 - Le 15/12/04. Cf. le discours du Maire.
2 - Le débat est chaud au sein même de l’équipe de rédaction.
3 - Cf. aussi “David, Goliath et les Flying Dutchmen” par J.-C. Garcias
in Archiscopie n°42.
4 - Le gabarit permettant peut-être de deviner le lieu du cadavre exquis proposé.
5 - Il s’agit d’une consultation en amont du projet d’architecture, visant le développement du programme et l’élaboration des grandes lignes d’un projet chiffré. C’est à la commission d’appel d’offres - et non à un jury d’architecture - que revient la décision.

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