N°50 - mai 2005

L'architecture à l'ère de la communication

Inauguré en 1997, le musée Guggenheim de Bilbao est devenu instantanément le symbole de la ville, comme (plus lentement) la tour Eiffel pour Paris. L’effet Bilbao a starisé l’architecte américain Frank Gehry (Prix Pritzker 1989), de nombreux édiles espérant désormais donner l’image d’homme de l’avenir (électoral) en devenant producteur d’une icône architecturale contemporaine.

Si Rem Koolhaas, Prix Pritzker 2000, n’avait pas besoin d’un bâtiment de plus pour asseoir sa réputation internationale, nul doute pourtant que la Casa da Musica de Porto1 frappe fort et risque de voler la vedette au plus célèbre des architectes de Porto, le Pritzker 1992, Alvaro Siza. L’image météoritique du bâtiment, qui apparaît comme tombé du ciel au bord d’un grand giratoire urbain, est un coup graphique2 si évident que le logo de l’institution reprend naturellement sa forme architecturale, comme l’avait fait celui du Centre Pompidou à Paris (achevé en 1977, R. Rogers et R. Piano - pritzkerisé en 1998 - arch.), moins du fait de sa volumétrie générale que de l’estafilade créée sur sa façade par le tube en plexiglass abritant l’escalier mécanique. Que ce soit à Bilbao, Porto ou Paris, les trois édifices évoqués jouent l’autonomie par rapport au contexte bâti, ne reprenant ni l’échelle (ce sont des bâtiments publics dominants), ni les matériaux, ni les formes urbaines environnantes, défiant donc la logique de l’intégration par les similitudes ou les parentés, préférant créer la surprise. Pourtant ces Ovni, aussitôt atterris dans leurs quartiers respectifs laissés par ailleurs intacts (ou faisant semblant de l’être à Paris), ont établi d’étroites relations avec eux, comme un avion avec son aérodrome. C’est sans doute cela qui frappe le spectateur : ce rapport dialectique fait à la fois d’opposition et de connivence par le mouvement de la vie, exploitant au maximum l’effet d’événement - on pourrait dire de surgissement spectaculaire -, dans le même registre que les installations artistiques. Si les monuments anciens sont aussi des ponctuations urbaines fortes, c’est plutôt par leur échelle, par leur mise en scène valorisante et par une expression symbolique en rapport direct avec le programme (civil ou religieux, affichage du statut social...). Alors qu’à Porto, on est en pleine société du spectacle selon Debord, l’esprit des années 1960 étant revisité à l’aune de l’informatique qui permet de calculer les volumes les plus complexes, et de la communication devenue le premier objectif de toute entreprise culturelle, à commencer par la création architecturale la plus médiatisée. L’effet de surprise passé, ces installations non temporaires lasseront-elles les spectateurs ? Le risque est moindre que celui de voir des admirateurs multiplier les succédanés. Or, contrairement aux grandes traditions qui s’élaborent par le perfectionnement de modèles, l’architecture-spectacle, pièce unique, n’engendre pas le progrès par l’imitation.
Gwenaël Querrien

1 - Cf. article en rubrique Actualité.
2 - Cf. les suggestions humoristiques de logos de ses bâtiments par Rem Koolhaas lui-même dans
Content, éd. Taschen.

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